Françoise d’Eaubonne, mère de l’écoféminisme

Militante féministe, philosophe, femme de lettres, romancière, Françoise d’Eaubonne a contribué à l’éclosion de l’écoféminisme en France et ailleurs dans le monde. Résistante, féministe, anticolonialiste, écologiste… Elle a défendu les grandes causes de son époque, et s’est par exemple opposée au maintien de la peine de mort, et à la guerre d’Algérie. Son œuvre prolifique est aujourd’hui réappropriée par les nouvelles générations féministes.

Une résistante ayant vécu une « chienne de jeunesse »

Françoise d’Eaubonne naît en 1920 à Paris. Elle est la troisième d’une fratrie de quatre enfants. Sa mère, Rosita Martinez, est la fille d’un révolutionnaire espagnol conservateur et antilibéral, et son père un anarchiste chrétien, co-fondateur du Parti fasciste révolutionnaire. Ses parents, tous les deux militants, se sont rencontrés au Sillon, un mouvement catholique et républicain. Rosita Martinez est l’une des premières femmes à étudier à la faculté des sciences de Paris, où elle aurait même suivi les cours de Marie Curie. Quant à Étienne d’Eaubonne, il travaille pour une compagnie d’assurance à Toulouse, où vit toute la petite famille. Très tôt, Françoise d’Eaubonne baigne dans un milieu politisé et militant, quoiqu’opposé aux opinions politiques qu’elle développera plus tard.

La petite Françoise développe un goût certain pour l’écriture. À l’âge de 13 ans, elle gagne un concours de nouvelles organisé par une maison d’édition. Mais à 16 ans éclate la guerre d’Espagne, pays dont sa mère est originaire, et Françoise d’Eaubonne est vite marquée par l’exil des républicains espagnols. Sous l’occupation, François d’Eaubonne s’engage en tant que résistante, alors qu’elle n’a qu’une vingtaine d’années, et adhère au Parti communiste en 1945. À la libération, elle assiste au retour des Juifs rescapés des camps de la mort, et cela la marquera à tout jamais. Elle parlera de sa vie et de la Seconde guerre mondiale dans un ouvrage portant bien son nom, Chienne de jeunesse. Elle publie un premier roman en 1944.

Françoise d’Eaubonne, l’écrivaine féministe marxiste

C’est grâce à la littérature que Françoise d’Eaubonne débute sa carrière d’intellectuelle. En 1949 paraît le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir. C’est une révélation pour Françoise d’Eaubonne, qui, effarée de voir l’hostilité que suscite le livre, publie un essai, Le complexe de Diane, dans lequel elle défend Simone de Beauvoir. Dans ce premier essai, elle tente de comprendre la raison pour laquelle les femmes ont été exclues des sphères politiques, et donc du pouvoir, pendant si longtemps. Elle développe un féminisme marxiste, et rapproche lutte des classes et émancipation des femmes. Françoise d’Eaubonne devient d’ailleurs la mère d’une petite fille en 1944, qu’elle confie à sa famille, après avoir quitté son mari.

Le monde de l’édition lui est familier, et elle devient lectrice pour de grandes maisons, comme Julliard ou Flammarion. Dans Le complexe de Diane, elle défend également une bisexualité originelle, présente chez chaque individu, et est l’une des premières écrivaines à aborder des questions de genre, puisqu’elle analyse les mécanismes propres à la virilité et la féminité, qu’elle considère comme des constructions sociales. Sans être lesbienne, Françoise d’Eaubonne devient fervente défenseuse de la cause homosexuelle en France. Dans Eros minoritaire, un ouvrage de 1970, elle s’intéresse à l’histoire de l’homosexualité masculine et devient ainsi historienne des sexualités, à l’instar d’un Michel Foucault. Selon elle, ce qu’elle nomme le « terrorisme anti-sexuel » survient à l’époque médiévale, là où l’Antiquité apparaît comme une période bien plus permissive. Elle y fait l’inventaire des discriminations subies par les homosexuels au cours des époques.

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Une intellectuelle engagée, mère de l’écoféminisme

En septembre 1960, Françoise d’Eaubonne s’engage pour l’indépendance de l’Algérie, et co-fonde le Mouvement pour la Libération des Femmes à la fin des années 1960. Elle est également l’une des signataires du manifeste des 343 pour le droit à l’avortement. Au sein du MLF, elle anime la section « écologie et féminisme » et publie, en 1972, une Histoire et actualité du féminisme, dans laquelle elle écrit :

« Or, il s’agit d’un bien plus vaste sujet, cette fois, que de la “libération de la femme”, et de la “liberté sexuelle”. Il s’agit de l’avenir même de l’humanité. Mieux : de sa chance d’avoir encore un avenir. Le prolongement de notre espèce est menacé aujourd’hui grâce à l’aboutissement des cultures patriarcales, par une folie et un crime. La folie : l’accroissement de la cadence démographique. Le crime : la destruction de l’environnement. »

L’écoféminisme est né. Pour elle, le patriarcat est responsable de la destruction de la planète (par la surproduction) et de l’asservissement des femmes (par l’appropriation du corps des femmes). Selon elle, l’un des premiers outils de lutte écoféministe, c’est le contrôle de la démographie par les femmes, donc l’accès universel et gratuit à la contraception et l’avortement :

« Le premier rapport de l’écologie avec la libération des femmes est la reprise en main de la démographie par celles-ci […]. Cette libération est déjà amorcée dans les pays hautement industrialisés qui sont obligés, pour des raisons de productivité, d’accorder aux femmes la contraception. »

Françoise d’Eaubonne crée également, en 1973, la formation « Écologie féminisme centre », et milite, aux côtés d’autres femmes, contre les désastres écologiques de son temps. Elle meurt à Paris en 2005, après une vie marquée par un fort engagement et d’une centaine d’ouvrages publiés.

Victoria Lavelle pour Celles qui Osent

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