Personnage majeur de la fin de l’Antiquité, Hypatie d’Alexandrie incarne le dynamisme et l’éclat de la culture hellénistique tardive. Dotée d’une érudition hors pair, elle s’impose très jeune comme la scientifique la plus respectée de son temps. Audacieuse, elle s’affranchit des conventions sociales pour devenir l’égale des hommes de sa cité. Mais alors que s’impose le christianisme, la philosophe insoumise se heurte au fanatisme le plus brutal.
Biographie d’Hypatie d’Alexandrie : la carrière flamboyante d’une philosophe d’exception
Une enfance baignée des lumières de l’Antiquité tardive
Hypatie naît entre 350 et 370 ap. J.-C. à Alexandrie, en Égypte. Elle est la fille de l’illustre Théon, dernier directeur du Musée de la Bibliothèque d’Alexandrie, mais aussi éditeur et commentateur de textes astronomiques et mathématiques. De la mère d’Hypatie, rien n’est connu, pas même son nom.
La jeune Hypatie voit le jour dans la cité la plus florissante de l’Antiquité tardive. Au IVe siècle, la ville fondée par Ptolémée est le centre intellectuel, artistique et commercial de toute la Méditerranée. Trait d’union entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, Alexandrie est une métropole multiculturelle où vivent des populations très diverses et où la philosophie brille de mille feux.
Une étoile savante de l’école néoplatonicienne
C’est dans ce foyer majeur des sciences et des lettres qu’Hypatie est formée à la philosophie. Elle est initiée aux disciplines du quadrivium qui comprend l’arithmétique, la musique, la géométrie et l’astronomie. La fille de Théon d’Alexandrie suit les préceptes de l’école pythagoricienne, comme de nombreux philosophes de culture hellénistique. La jeune femme se fait remarquer pour son éloquence et son érudition. Elle commente Platon et Aristote, mène ses propres recherches en astronomie et acquiert des connaissances remarquables en mathématiques et en philosophie. Très jeune déjà, Hypatie est considéré comme un membre éminent de l’école néoplatonicienne d’Alexandrie, un courant philosophique antique alors en plein essor.
Une professeure réputée
Rapidement, elle dispense un enseignement très recherché dans le monde hellénistique. Réputée pour son talent à enseigner, Hypatie accueille une foule de païens, chrétiens et étrangers se pressant pour l’écouter partager ses connaissances. Parmi les élèves de son école, on compte notamment le futur évêque de Ptolémaïs, Synésios de Cyrène. Un contemporain d’Hypatie, Socrate le Scolastique, écrit à ce sujet :
« Il y avait dans Alexandrie une femme nommée Hypatie, fille du philosophe Théon, qui avait fait un si grand progrès dans les sciences qu’elle surpassait tous les Philosophes de son temps, et enseignait dans l’école de Platon et de Plotin, un nombre presque infini de personnes, qui accouraient en foule pour l’écouter. »
Des travaux scientifiques remarquables
Des écrits de la philosophe, seules quelques bribes ont traversé les siècles. Le père d’Hypatie indique que la troisième édition de son ouvrage sur la Composition mathématique de Claude Ptolémée fut « revue par [sa] fille, la philosophe Hypatie ». Au VIe siècle, l’historien et biographe Hésychios de Milet cite, quant à lui, les écrits de la scientifique en mathématiques et astronomie.
La mathématicienne rédige probablement un commentaire sur les Arithmétiques de Diophante, dont certaines parties auraient traversé les siècles. On lui attribue aussi la création d’un Canon astronomique, décrivant les mouvements des corps célestes, ainsi que divers commentaires de haut niveau sur les mathématiques.
Selon toute vraisemblance, Hypatie savait aussi comment construire un astrolabe, instrument antique donnant la date et l’heure. Aussi, bien qu’aucun écrit complet ne soit parvenu jusqu’à nous, les chercheurs modernes considèrent Hypatie d’Alexandrie comme étant l’une des plus grandes scientifiques de son temps.
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La personnalité d’Hypatie d’Alexandrie, une érudite aimée et culottée
Une penseuse indépendante et audacieuse
Étoile de la philosophie alexandrine, Hypatie adopte une attitude hors norme pour une femme de son époque. Drapée dans le manteau des philosophes, la savante arpente les rues de sa cité et y explique publiquement la pensée des grands érudits, à la manière d’un homme. De plus, la penseuse décide de rester célibataire et mène une vie à contre-courant de celle des femmes de son temps. En tout point, elle refuse d’être conformiste.
Une déesse vivante de la philosophie
Qu’elle suscite l’admiration ou provoque l’agacement, Hypatie ne laisse personne indifférent en Égypte. Affranchie de la rivalité féminine, on dit d’elle que son érudition n’a d’égale que sa beauté. De Lisle, poète français du XIXe siècle, la décrira comme ayant « le souffle de Platon et le corps d’Aphrodite ». Chaste, belle et savante, Hypatie est également respectée pour sa vertu et ses mœurs irréprochables. Émerveillé, le poète alexandrin Palladas, lui dédie ces vers :
« Lorsque je porte mon regard sur toi et tes paroles, je m’incline,
Puisque c’est la demeure céleste de la Vierge que je vois.
Car tes préoccupations sont dirigées vers les cieux.
Vénérée Hypatia, toi qui personnifies la beauté du raisonnement
Étoile immaculée de la sage connaissance. »
Le martyre d’une femme philosophe de l’Antiquité trop influente
La persécution des païens
Mais le tournant du Ve siècle est secoué par de profonds bouleversements culturels, dont certains annoncent le crépuscule de l’Empire romain. Autorisé par l’empereur Constantin en 313, le christianisme s’impose désormais comme la religion officielle de l’Empire romain, auquel l’Égypte appartient. Les choses s’accélèrent en 391 quand l’empereur Théodose Ier autorise la fermeture et la destruction des temples païens.
C’est ainsi que le père d’Hypatie voit fermer le Musée de la Bibliothèque, qui faisait jusqu’à la lors la renommée de la cité. Dédié aux muses et à la divinité Sérapis, le Musée était un lieu consacré à la connaissance. En son sein, savants et philosophes vivaient en communauté. Quant à Hypatie, la philosophe commence à susciter le courroux de certains chrétiens.
L’intransigeance du patriarche d’Alexandrie
En 412, un nouveau patriarche est nommé à Alexandrie, du nom de Cyrille. Ce dernier s’emploie immédiatement à poursuivre la politique d’éradication du paganisme. Il s’illustre également par sa répression très brutale des juifs et de tous les chrétiens jugés hérétiques. Son intransigeance se heurte à l’inflexibilité d’Oreste, préfet romain de la province. À travers ces deux hommes, les pouvoirs religieux et politique s’affrontent dans le sang, précipitant la chute d’Hypatie.
Oreste, récemment converti à un christianisme modéré et tolérant, est un ami proche de la mathématicienne. L’érudite compte d’ailleurs plusieurs personnages haut placés dans ses relations, ce qui suscite la crainte du clergé. Car Hypatie, en plus de vivre sans époux, refuse également la conversion au christianisme. L’influence de cette païenne insoumise exaspère une partie des dignitaires chrétiens.
Le massacre d’une femme gênante
Alors qu’une émeute éclate et qu’Oreste échappe à une tentative d’assassinat, le sort de la philosophe bascule. Jusqu’alors très populaire auprès des chrétiens et des païens, Hypatie est victime d’une campagne de discréditation. Les différentes sources rapportent des rumeurs selon lesquelles elle aurait manipulé Oreste pour empêcher sa réconciliation avec Cyrille.
Au cours du Carême de l’année 415, Hypatie est assassinée dans les rues de sa ville. Les sources décrivent un meurtre atroce, perpétré par la confrérie chrétienne des parabalani. Socrate le Scolastique relate une mise à mort « à coups de pots cassés », dans l’église de Caesarion, suivi d’un découpage et d’une crémation du corps. Les faits sont également rapportés dans l’encyclopédie grecque La Souda et son auteur dénonce un « massacre ». L’évêque égyptien Jean de Nikiou décrit, quant à lui, une exécution salutaire et se félicite que la ville eût été « délivrée des derniers restes de l’idolâtrie ».
La jalousie meurtrière de Cyrille
Les historiens modernes estiment qu’Hypatie s’est attiré la jalousie du patriarche Cyrille. Il est impossible de connaître l’implication exacte de celui-ci dans l’assassinat de la savante, mais il est vraisemblable qu’il connaissait ce macabre projet. Les historiens considèrent aujourd’hui qu’Hypatie a davantage été éliminée en raison de sa grande influence plutôt que pour ses convictions personnelles. Une personnalité aussi indomptable qu’appréciée, échappant au contrôle de l’Église, entravait l’accession au pouvoir d’un évêque pétri de fanatisme religieux.
Extraordinaire, Hypatie l’était autant de par son intelligence hors du commun que son mode de vie anticonformiste. En tant que femme non chrétienne, c’est avec bravoure qu’elle affronta les restrictions imposées aux personnes de sa condition, sans jamais renoncer à sa liberté de pensée et d’action. Vénérée par des générations d’érudits, diabolisée par les chrétiens des premiers siècles et adulée des féministes modernes, Hypatie d’Alexandrie est une figure emblématique du courage au féminin.
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Izold Guégan pour Celles qui Osent
Sources :
Sources antiques :
Socrate le Scolastique, Histoire ecclésiastique (vers 440), VII, 13-15.
La Souda, s.v. Hypatie, texte original et traduction anglaise.
Jean de Nikiou, Histoire universelle, VIe siècle (texte original en copte perdu), version amharique traduite par Hermann Zotenberg.
Johannes IRMSCHER, « Palladas und Hypatia (zu Anthologia Palatina 9.400) », Acta Antiqua Philippopolitana : Studia Historica et Philologica, 1963, p. 313-318.
Synésios de Cyrène, correspondance.
Études sur Hypatie d’Alexandrie :
Charlotte Booth, Hypatia : Mathematician, Philosopher, Myth, Fonthill Media, 2017.
Edward J. Watts, Hypatia : The Life and Legend of an Ancient Philosopher, Oxford, Oxford University Press, 2017.
Christian Lacombrade : s. v. Hypatia. In : Reallexikon für Antike und Christentum. Band 16, Hiersemann, Stuttgart 1994, p. 956–967.
Anne-Françoise Jaccottet, « Hypatie d’Alexandrie entre réalité historique et récupérations idéologiques : réflexions sur la place de l’Antiquité dans l’imaginaire moderne », Tradition classique, p. 1-2, 2010.
Lisa Yount, A to Z of Women in Science and Math, Infobase Publishing, 2007.
Bryan J. Whitfield, « The Beauty of Reasoning: A Reexamination of Hypatia and Alexandria », The Mathematics Educator, vol. 6, no 1, 1995, p. 14-2.
Maria Dzielska, « Learned women in the Alexandrian scholarship and society of late Hellenism », dans Mostafa el-Abbadi ; Omnia Mounir Fathallah, What Happened to the Ancient Library of Alexandria ?, Leyde, Brill, 2008 (ISBN 9789004165458, lire en ligne [archive]), p. 129-148.
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2 Comments
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et cette sinistre mise à mort toujours en toute charité chrétienne et pour l’amour du prochain, bien évidement. Toute l’histoire des religions n’est qu’une interminable litanie de massacres et persécutions