Elle a révélé l’un des plus gros scandales de l’industrie agro-alimentaire française. Inès Léraud, journaliste née en 1981, s’est installée en Bretagne en 2015 où elle a enquêté pendant deux ans sur les marées vertes, ces algues présentes sur le littoral breton et toxiques pour l’homme et l’environnement, à la prolifération favorisée par des pratiques agricoles intensives. Après avoir subi plusieurs intimidations, Inès Léraud est parvenue à diffuser ses reportages, par la suite adaptés en film et en bande dessinée. Celles qui Osent revient sur l’histoire de cette journaliste lanceuse d’alerte, dont l’enquête a secoué la Bretagne et au-delà.
Inès Léraud, journaliste spécialiste des enjeux de santé publique
Inès Léraud naît en 1981 à Saumur, dans les Pays de la Loire. Issue d’une famille bretonne – ses grands-parents sont originaires de Belle-Ile-En-Mer, dans le Morbihan – la jeune Inès Léraud , qui a grandi dans le Maine-et-Loire, passait ses vacances en Bretagne. Après des études de cinéma effectuée à la prestigieuse école de la Fémis et à l’ENS Louis Lumière, elle choisit de rédiger son mémoire sur les personnages de films documentaires. Mais c’est finalement vers le journalisme radio qu’elle s’orientera, avec de nombreux reportages réalisés pour France Culture, France Inter ou encore Arte radio.
Inès Léraud commence à s’intéresser aux enjeux de santé publique et à l’environnement au début de sa carrière de journaliste et entreprend d’ailleurs des études de philosophie des sciences à la Sorbonne, où elle rédige un mémoire dédié à « la question de la science à l’ère industrielle ». Elle étudie notamment les travaux d’Henri Pézerat, chercheur toxicologue et lanceur d’alerte, connu pour ses enquêtes sur l’amiante et ses conséquences nocives sur l’être humain. C’est ainsi qu’Inès Léraud se met à son tour à travailler sur l’amiante et les « mercuriens », ces personnes empoisonnées par le mercure contenu dans les plombages dentaires. Une enquête qui trouve son origine dans son histoire familiale, puisque sa propre mère en est atteinte.
À l’assaut de la Bretagne
En 2015, elle choisit de s’installer en Bretagne après avoir fait la rencontre d’un syndicaliste et d’un ancien agriculteur breton, intoxiqué par un insecticide pourtant interdit. La journaliste souhaite emménager à Lamballe, dans les Côtes d’Armor, « la capitale du cochon », comme elle la surnomme dans une interview accordée à Ouest France, ville connue pour ses nombreux élevages de porc. Mais la jeune femme atterrit finalement à Maël-Pestivien, une petite commune de 400 habitants située dans les Côtes d’Armor. Ainsi débute son « Journal breton », une série de reportages réalisés pour l’émission « Les pieds sur terre », de France Culture dans laquelle elle documente le quotidien de la Bretagne, de ses agriculteurs, de ses éleveurs, et de ses populations rurales.
Dans le quotidien breton Ouest France, Inès Léraud revient sur son déménagement en Bretagne et son travail sur le terrain :
« Quelques mois plus tard, j’étais irrémédiablement reliée à ce territoire. Je me sentais pour la première fois de ma vie à ma place, aussi utile que les agriculteurs, les ouvriers, les artisans, les enseignants et soignants qui vivent autour de chez moi. L’importance que les habitants ont accordée à mes enquêtes, et la coopération qui s’est nouée entre nous ont donné du sens à mon activité. Cette immersion m’a, en quelque sorte, fait naître journaliste. »
Dans une autre interview, accordée au Monde en 2016, elle explique :
« C’est très étrange, la Bretagne. J’ai l’impression d’être à l’autre bout du monde, dans une contrée qui m’est étrangère de par ses codes, et, en même temps, de m’être installée au cœur de la mondialisation, puisque nous sommes dans l’une des régions les plus industrialisées du monde, au niveau agroalimentaire. »
Une enquête d’intérêt public autour des algues vertes
Les premières enquêtes d’Inès Léraud sur le sujet remontent à la première saison de son Journal breton, dans un épisode intitulé « algues vertes, le déni ». La totalité de son travail d’investigation a été adaptée dans une bande dessinée, parue en 2019. Le livre, avec plus de 150 000 exemplaires vendus, a été un succès et a fait l’objet d’un film sorti en 2023. Inès Léraud, marquée par la maladie de sa mère devenue chimico-sensible après une intoxication au mercure développée à cause d’un plomb dentaire, commence à s’intéresser à la santé des agriculteurs et ouvriers agricoles exposés aux produits chimiques et nocifs pour la santé.
Depuis plus d’un demi-siècle, les algues vertes s’accumulent sur le littoral breton, favorisées par une eau peu profonde, par de faibles courants qui ne permettent pas leur diffusion au large, et surtout, par une accumulation de nitrate dans l’eau, issu de l’agriculture industrielle. Le nitrate est majoritairement présent dans les engrais et les déjections des animaux d’élevage. Or la Bretagne concentre 50% des élevages de volailles et de porcs, et 30% des élevages de bovins. Ces fameuses algues vertes diffusent un gaz très toxique pour l’homme et les animaux, la sulfure d’hydrogène. En 2009, un homme est mort alors qu’il opérait un ramassage d’algues à l’aide de son camion. Quelques mois plus tard, un cheval perd la vie et son cavalier reste plusieurs jours dans le coma. En 2011, une trentaine de sangliers sont retrouvés morts. En 2016, meurt un joggeur venu courir sur le littoral.
Dans son enquête, Inès Léraud montre l’inaction des pouvoirs publics et l’influence des lobbys agricoles. Procès pour diffamation, ordinateur mis sous surveillance, intimidations physiques de la part de certains agriculteurs… Il a été particulièrement difficile pour la journaliste de mener l’enquête, face à l’omerta autour des algues vertes, l’hostilité des agriculteurs et la passivité des autorités qui ne souhaitaient pas communiquer sur le sujet, ce qui amène la journaliste à parler de « mensonge d’Etat », et de « déni collectif ».
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Victoria, pour Celles qui Osent
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