En plus de l’invisibilisation des femmes ayant contribué aux progrès de la culture numérique, le cyberharcèlement dont ces dernières sont victimes, ou la propagation des dangereuses communautés incels et masculinistes qui s’y développent, le réseau informatique mondial Internet véhicule de nombreuses paroles, comportements déplacés, discriminatoires et violents. La législation en ce qui concerne le cyberharcèlement et toute régulation liée au numérique restent très superficielles, et les politiques peinent à intervenir. Car, c’est un constat : Internet propage un sexisme ordinaire de plus en plus virulent.
Ada Lovelace, première programmeuse de l’histoire, dépossédée de son algorithme
On lui doit l’invention du premier logiciel de programmation informatique. Fille du poète anglais Lord Byron et d’Annabella Milbanke, Ada Lovelace apprend les sciences et devient mathématicienne. Elle fait ensuite la rencontre du mathématicien Charles Babbage, dont elle fait connaître les inventions à l’étranger grâce à ses talents de traductrice. Ada Lovelace a également largement contribué à l’amélioration de la machine analytique, l’ancêtre de l’ordinateur.
Elle ajoute, dans les traductions des écrits de l’inventeur, ses propres notes sur cette invention et développe le premier modèle d’algorithme, pourtant très longtemps attribué à… monsieur Charles Babbage. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que la mémoire d’Ada Lovelace fut réhabilitée. C’est d’ailleurs pour lui rendre hommage que le département américain de la Défense a nommé « Ada » un langage de programmation inventé à la fin des années 1970.
Sur Internet, les incels et les masculinistes diffusent la haine
En 2018, à Toronto, un attentat à la voiture bélier a tué dix personnes et fait blessés. L’attaque a été commise par Alek Minassian, un homme radicalisé appartenant à la communauté des incels, particulièrement bien développée sur internet. Les incels, néologisme pour involuntary celibate, « célibataire involontaire » en anglais, désignent les communautés en ligne d’hommes hétérosexuels incapables de s’investir dans des relations amoureuses et/ou, sexuelles. Les femmes sont rendues responsables de leur misère affective. Entre 2014 et 2020, une douzaine de meurtres, dont six tueries de masse, ont été commis par des incels.
Selon la journaliste Mathilde Saliou, autrice de Technoféminisme, Comment le numérique aggrave les inégalités, la communauté des incels est active depuis le début des années 2000, mais n’a cependant jamais été prise au sérieux. Cela demeure encore le cas, malgré plusieurs attentats commis par la communauté masculiniste. Comme l’explique la journaliste, internet est précisément ce qui a permis aux communautés d’incels de fleurir, puisque des forums se sont créés, sur lesquels les masculinistes ont pu échanger et diffuser leur idéologie meurtrière. Aussi, les quelques études réalisées sur le sujet montrent que les hommes en question, s’ils bénéficient d’un réseau développé sur le Net, souffrent d’un manque criant de lien social dans la vie réelle.
Internet propage le sexisme ordinaire
Selon l’European Women’s Lobby, les femmes ont… 27 fois plus de chances de se faire harceler sur internet que les hommes. Insultes misogynes, menaces de mort, menaces de viol… Elles sont très régulièrement visées sur les réseaux sociaux, comme l’explique Thomas Messias dans son podcast Internet, espace de sexisme ordinaire :
« Moi par exemple, on a déjà promis de me casser la gueule, mais on n’a jamais menacé de me violer. En revanche, il est souvent arrivé qu’on s’en prenne à la femme qui partageait ma vie. »
Dans le documentaire Sale pute, réalisé par les journalistes Florence Hainaut et Myriam Leroy, plusieurs femmes, parmi lesquelles des actrices, des Youtubeuses, des journalistes, des femmes politiques, témoignent du harcèlement en ligne dont elles ont été victimes. Les gameuses, très suivies sur la plateforme twitch, se retrouvent également en première ligne de ce phénomène de harcèlement sexiste. En octobre dernier, plusieurs dizaines de témoignages glaçants de gameuses ayant été victimes de cyberharcèlement ont d’ailleurs suscité de vives réactions de la part de l’opinion publique.
Que faire pour contrer ce phénomène ? Le droit et le politique semblent démunis face aux dérives d’internet et ses espaces numériques de non-droits. Pour Mathilde Saliou, il est nécessaire de vulgariser les connaissances sur le numérique, mais aussi d’instaurer un principe de bienveillance en ligne, de soigner le lien social en s’inspirant des théories du care développées par les féministes.
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent