Célèbre marchande d’art, Iris Clert est un personnage mythique de l’avant-garde artistique parisienne. Née à Athènes en avril 1918, Iris Athanassiadis, issue d’une famille bourgeoise grecque, ne se prédestine pas à cette carrière. Son astrologue lui a pourtant prédit qu’elle deviendrait « célèbre et accomplirait une révolution dans l’art ». Conduite par sa passion et les astres, Iris Clert révèle à travers ses expositions, les « marginaux de l’art ». Grâce à son intuition, cette surdouée des arts plastiques a découvert de nombreux talents tels qu’Arman, Pol Bury, Fontana, Hains, Soto, Takis… Celle qui n’a pas les moyens d’investir dans la publicité choisit le scandale au service de la promotion de ses artistes. Armée d’un sens indéniable de la communication, cette visionnaire a largement contribué à l’émergence du mouvement du Nouveau Réalisme. Retour avec Celles qui Osent sur le destin exceptionnel d’Iris Clert, la marchande d’art de l’avant-garde qui aime créer l’événement.
Un talent révélé par Takis
Sa vocation débute en 1954, lorsqu’Iris rencontre le sculpteur grec Takis lors d’un voyage sur l’île de Mykonos.
« J’ai été voir Takis dans son atelier, quelque part dans les montagnes. Je suis entrée dans un hangar où il n’y avait que des statues blanches, en plâtre. C’était des personnages tout à fait primitifs, ou plutôt archaïques, réduits à leurs plus simples expressions, d’une pureté et d’une beauté parfaites. Moi je ne connaissais rien à l’art à cette époque. »
Takis lui répond « Tu es une des rares qui ait apprécié mes sculptures. Tu es formidable. Tu vas ouvrir une galerie, tu seras la Peggy Guggenheim de l’avenir. Je vais rentrer à Paris et tu vas faire ma carrière. »
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Iris Clert, femme galeriste émancipée
Iris Clert s’essaie à la galerie associative du Haut Pavé, en exposant sa sélection d’artistes sur un créneau réduit, de 17 h à minuit. Dans une époque dominée par la Nouvelle École de Paris, qui semble nier la vitalité du marché de l’art new-yorkais, peu de possibilités sont offertes aux expériences audacieuses de jeunes artistes contemporains non conformistes. Iris Clert l’a bien compris.
Sa première exposition des œuvres de l’artiste peintre Thanos Tsingos est un succès. Consciente de sa forte persuasion commerciale, elle ouvre six mois plus tard, en février 1956, sa propre galerie au 3 rue des Beaux-Arts à Paris. Dans une France patriarcale et conservatrice, nécessitant l’autorisation de son mari pour avoir un compte en banque, Iris Clert décide de choisir son destin et de s’affranchir des conventions sociales. Animée par un besoin d’émancipation et d’indépendance, elle ouvre sa galerie, passe son permis de conduire et divorce de son mari, le célèbre producteur de cinéma Claude Clert.
La création des micro-salons, un nouveau format d’exposition
Dans ce local exigu de 15 mètres carrés, elle invente le « micro-salon », l’accrochage d’œuvres de petit format, sorte de « tableaux portables », lui permettant de présenter plus de 100 artistes, réputés ou débutants, de toutes les écoles stylistiques. L’objectif de la galeriste est d’accrocher dans un minimum d’espace un maximum d’œuvres, au format 22x16cm. La critique, immédiatement élogieuse, lui permet d’asseoir sa réputation de « nouveau lieu d’exposition d’art contemporain alternatif parisien » et ainsi d’exporter ce concept chez des confrères à Berlin, Bruxelles, Milan et même New York.
La scandaleuse Iris Clert, galeriste de l’avant-garde
En 1956, Iris Clert présente « Propositions monochromes », une exposition monographique des tableaux monochromes d’Yves Klein, encore méconnus. Pour sa promotion, la galeriste lance le soir de l’inauguration 1001 ballons bleus depuis l’église de Saint-Germain-des-Prés et tente d’illuminer l’Obélisque en bleu. Dotée d’un sens inné de la communication, elle met également au point un cocktail bleu de méthylène, qui fera « pisser le Tout-Paris bleu » le lendemain matin. Elle prétend même qu’un ministre viendra au vernissage pour obtenir des gardes républicains à l’entrée de sa galerie et ainsi créer la sensation. L’exposition fait parler d’elle. Le pari d’Iris est réussi.
Une marchande d’art contemporain qui créer l’événement
Deux ans plus tard, Klein, soutenu par la marchande d’art, réitère sa performance et présente « l’Exposition du vide » (aussi appelé pompeusement « La spécialisation de la sensibilité à l’état de matière première en sensibilité picturale stabilisée ») ne montrant que des murs blancs, un baldaquin et une armoire.
Le monde de l’art s’offusque face à ce canular, mais la notoriété de Klein est lancée. C’est alors qu’il quitte Iris pour rejoindre un marchand réputé de la rive droite, Jean Larcade, en créant l’évènement avec une performance d’anthropométries. Vexée par cette trahison, « la Pasionaria de l’avant-garde », décide de promouvoir les œuvres d’un autre artiste, Arman. « Par vengeance, je voulais polluer la pureté de mes murs qui avaient été peints par Yves Klein avec les ordures d’Arman, qui était son meilleur ami. »
Des boîtes de sardines remplies de détritus font office d’invitation pour cette exposition du »Plein » célébrant l’accumulation d’objets-poubelle.
La galerie Iris Clert : expérimentale et éclectique
Iris Clert aime provoquer, mais toujours au service de ses artistes. Celle qui a un don pour trouver des formules, décrit sa galerie comme « la plus expérimentale du monde. »
Sa programmation, éclectique, se fait selon ses coups de cœur. Et ils sont nombreux : Yves Klein, Arman, Takis, J.Jacques Lebel, Raymond Hains, Harold Stevenson, Bill Copley, Yolande Fièvre, Pol Bury, Leon Golub, Raymond Hains et bien d’autres…
Elle expose successivement les machines sonores de Jean Tinguely, les compositions austères du minimaliste Ad Reinhardt, les paysages poétiques de René Brô ou les totems de Gaston Chaissac. Sa galerie laboratoire offre tous les mois une nouvelle aventure. En 1964, Iris se démène pour louer le pilier sud de la tour Eiffel afin de présenter le monumental portrait du matador El Cordobés de 12 mètres de haut de l’artiste figuratif américain Harold Stevenson.
La faillite de sa galerie Rive Droite
En 1961, elle prend le risque d’emménager Rive Droite pour agrandir son espace et élargir ses possibilités. Elle organise beaucoup de vernissages et d’événements, dont le premier défilé de Paco Rabanne, ou une exposition de l’artiste plasticien Raymond Hains. Celui-ci lui rendra d’ailleurs un hommage fantasque intitulé Iris, messagère des arts », une Géante habillée d’une robe d’Iris et d’un manteau de fourrure. Dès 1962, l’audacieuse fonde une revue d’art, Iris. Time unlimited ; 46 numéros sortiront entre 1962 et 1975. La même année, elle s’invite à la Biennale de Venise, et monte sa « Piccola Biennale » en investissant un palais du 18e siècle au bord du Grand Canal. Pour l’édition suivante, elle à l’audace d’amarrer sa Biennale flottante sur un yacht. Pourtant, en 1961, les affaires vont mal.
Elle est expropriée de son espace rue du Faubourg Saint Honoré, mais Iris, non ébranlée par cette déconvenue financière, transforme son appartement de la rue Duphot en galerie.
Les créateurs l’adorent, mais ne restent pas. Si ces artistes la lâchent, c’est qu’Iris, qui manque de rigueur, n’a guère les moyens de ses ambitions. Généreuse et fantaisiste, elle jette l’argent par les fenêtres et peine à payer ses « génies ».
Une militante, malgré elle, de la non-reconnaissance des artistes féminines
À l’heure des mouvements de revendications féministes du début des années soixante-dix, Iris Clert inaugure son Micro-Salon de 1974, sous-titré : Grandes Femmes petits formats consacré exclusivement à des œuvres réalisées par des femmes, de générations et d’orientations stylistiques différentes, telles que Sonia Delaunay ou Tania Mouraud. Cette exposition joue un rôle précurseur dans la prise de conscience de la discrimination et de la non-reconnaissance des plasticiennes du 20e siècle. Pourtant, Iris Clert clame qu’elle œuvre en faveur des femmes, mais refuse paradoxalement toute sorte d’assimilation de son exposition à un groupe, et plus particulièrement au M.L.F.
“Je ne sais pourquoi, le fait de réunir quatre-vingt-dix-neuf femmes semble à certains un geste de libération. De libération. De Mouvement de Libération des Femmes, avec trois majuscules. Mais je ne veux libérer personne, moi ! Mais je n’ai pas besoin d’être libérée. Je suis libre. Et comme je suis libre, je refuse les majuscules et les mouvements. Au fond, je suis plutôt misogyne, c’est un fait. Les femmes qui se prennent pour des femmes m’embêtent. Comme je n’ai pas de principes, et comme j’ai trouvé quatre-vingt-dix-neuf femmes que j’aime bien, il m’a paru intéressant de les voir exposées ensemble. Ces quatre-vingt-dix-neuf femmes-là existaient déjà, chacune, séparément, individuellement, librement. Ne cherchez ici ni paternalisme, ni sexisme, ni problèmes : vous trouverez quatre-vingt-dix-neuf passionnants petits formats.” Iris Clert, 1974
Une passionnée ouverte à toutes les “artventures”
Animée par la volonté de se réinventer en permanence, la galeriste Iris Clert n’a pas peur d’échouer. Au-delà des conventions du marché de l’art, elle crée la sensation en proposant un programme artistique éclectique et audacieux.
Dans les années 70, elle achète même un camion rebaptisé “Stradar” équipé de vitres transparentes à travers lesquelles elle expose des œuvres en parcourant Paris et toute l’Europe.
Pour elle, chaque vernissage est une fête, une transgression ou un scandale. Ouverte à toutes les “artventure”, son talent réside dans sa capacité à lancer les artistes et stimuler leur créativité.
Pour elle, son succès tient à son don astrologique de transformer tout ce qu’elle touche en or. Pourtant, elle meurt sans argent, en août 1986, à l’âge de 68 ans. La dénicheuse de talents n’a effectivement pas suivi les conseils de son ami Tinguely : “Si tu veux être riche, il faut acheter une trentaine de monochromes de Klein et les mettre dans ta cave.” Bohème, amoureuse de l’art et des artistes, Iris Clert n’a jamais spéculé et semble avoir préféré la postérité à la prospérité…
Violaine Berlinguet — Celles qui Osent
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Sources :
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Iris Clert, galeriste et pasionaria de l’avant-garde
Iris Clert, iris.time and life, mémoires sonores produites par Ralph Rumney, six cassettes, 1975
Iris Clert : l’astre ambigu de l’avant-garde en librairie
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