La leçon de piano : ce titre de film vous dit quelque chose ? Vous en avez sûrement entendu parler, mais peut-être pas de sa réalisatrice : Jane Campion. Ce film est la partie émergée de l’iceberg de ce monstre sacré du cinéma. Cette cinéaste récompensée a su distiller une œuvre riche et variée d’une manière assez discrète. Mais qui est-elle vraiment et comment s’est-elle imposée dans le monde du 7e art ? Quel message fait-elle passer subtilement au travers de ses réalisations ? Celles qui Osent braque les projecteurs sur son œuvre, de ses débuts prometteurs à sa consécration quelques années plus tard.
Jane Campion, un ovni dans le monde du cinéma
Une enfance atypique
Née en 1954 en Nouvelle-Zélande, Jane Campion grandit dans un environnement proche du spectacle. Son père, directeur de théâtre, et sa mère actrice, fondent une compagnie pour pouvoir jouer Shakespeare à travers tout le pays. La petite Jane suivra les déambulations théâtrales de ses parents. Elle rencontrera aussi le monde agricole quand, faute de représentations, ils mangeront de la vache enragée. Elle sera une enfant puis une adolescente déjà non conformiste, nourrie par ce parcours inhabituel dès le début de sa vie. Ainsi, avant de devenir la cinéaste récompensée que l’on connaît, elle passera un diplôme en anthropologie, souhaitant en savoir plus sur l’être humain et sa complexité. Elle va surtout intégrer le Sydney College of the Arts, qui façonnera toute sa carrière de réalisatrice de cinéma. Cette femme primée à plusieurs reprises bousculera les lignes du 7e art dès ses essais cinématographiques.
Ses débuts de metteuse en scène avec Peel
Bien avant que Jane Campion ne soit diplômée du Sydney College of the Arts, elle réalise en 1982, Peel, un court-métrage expérimental. Ce dernier, en utilisant des plans particuliers et un jeu de couleurs très marqué, dévoile déjà les thèmes chers à la metteuse en scène. En effet, elle explore adroitement les relations psychologiques entre hommes et femmes ou bien entre enfants et adultes, en passant davantage par l’image que par les dialogues. Ce mini film obtiendra en 1986 la Palme d’or à Cannes en tant que meilleur court-métrage.
La construction de son empreinte cinématographique avec After hours
Cette fois, elle propose un vrai scénario pour After Hours, un autre court-métrage réalisé en 1984 à la suite d’une commande de la télévision australienne. Elle traite l’intrigue du harcèlement sexuel d’un patron bien sous tous rapports avec l’une de ses secrétaires d’une façon originale. La cinéaste, en mettant en parallèle le récit des deux protagonistes, brouille les codes des personnages confrontés à une telle situation. Ici encore, on a l’impression de rentrer dans la psyché des héroïnes, en particulier dans celui de Lorraine, la jeune fille molestée. Campion se pose déjà en tant que réalisatrice qui met en scène des femmes dans un monde d’hommes. À ce titre, elle met en lumière la complexité du rôle de la gent féminine dans les sociétés patriarcales. Mais c’est véritablement avec les longs-métrages qu’elle fera pleinement exploser son art.
Le succès avec ses premiers longs-métrages
En 1989, elle signe son premier long-métrage, Sweetie. Ses thèmes de prédilection seront à nouveau exposés au grand jour. En prenant comme personnages deux sœurs que tout oppose, elle explore la place de la femme au sein de la société moderne conformiste. Le film traite la façon dont Sweetie, la protagoniste, essaiera de s’extirper de sa condition. On retrouvera dans cette fiction les codes appliqués dans son premier court-métrage Peel, qui seront à divers degrés un véritable leitmotiv dans la carrière cinématographique de la réalisatrice.
En 1990, elle tourne An angel at my table. Ce qui devait être dans un premier temps une série pour la télévision sera finalement produit en tant que film. Il remportera le Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise. Ce film retrace la vie de Janet Frame, écrivaine, qui fut internée de longues années pour une prétendue schizophrénie. La cinéaste remet en cause les décisions masculines et leur impact sur l’existence et le destin de femmes.
La consécration avec La leçon de piano
C’est avec La leçon de piano, en 1993, que sa carrière va littéralement prendre son essor. Elle sera primée de la Palme d’or au Festival de Cannes, une première pour une réalisatrice. Elle met en scène une Écossaise muette du XIXe siècle débarquant avec sa fille en Nouvelle-Zélande afin d’y rejoindre un époux qu’elle n’a jamais rencontré. Dans une nature sublimée, cette mère veuve qui ne veut pas se séparer de son piano, seul moyen pour elle d’exister, affrontera le monde rural et masculin de ces terres australes. Elle ne consommera jamais son mariage, mais tombera finalement sous le charme d’un homme illettré proche des Maoris. Une fois de plus, Jane Campion dépeint les difficultés psychologiques rencontrées par les femmes dans ce monde encore sauvage et très patriarcal.
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Une réalisatrice primée déterminée à faire passer des messages grâce au 7e art
L’attrait du non-conformisme
« J’ai toujours pensé que le cinéma engagé ne fonctionnait pas : ce qui m’intéresse, c’est de faire réagir les spectateurs en leur faisant partager des émotions. » [traduction libre de l’anglais]
Cette citation résume bien l’univers de la réalisatrice. Elle s’est toujours sentie attirée par les individus marginaux et les non-conformistes. Elle a ainsi voulu faire bouger les lignes de la société néo-zélandaise dans laquelle elle a grandi.
La Nature en tant qu’actrice à part entière
Plusieurs de ses œuvres ont donc pour décor son pays de naissance et elle se sert de ses personnages pour transmettre une sensation ou une émotion. Elle utilise justement la nature exceptionnelle de la Nouvelle-Zélande pour envelopper encore plus les actrices de ses films. Comme un rôle à part entière, la Nature est un moyen pour la réalisatrice de donner la réplique à ses personnages torturés. Ce moyen atteint son paroxysme dans La leçon de piano en opposant le monde encore sauvage des Maoris à l’exportation artificielle de la société anglaise aux confins du Pacifique Sud. L’affiche du film, avec l’instrument de l’héroïne abandonné sur la plage, en est la parfaite illustration.
Le rôle de l’homme
Architecte d’une vision cinématographique très féminine, elle n’en oublie pas pour autant les hommes. Qu’ils soient dominateurs, prédateurs sexuels ou effacés, ces seconds rôles apportent la dimension nécessaire pour exacerber les actrices phares de ses réalisations. Jane Campion n’est pas androgyne, mais montre avec talent comment le côté masculin de la société peut marginaliser les femmes lorsqu’elles veulent casser les codes existants et s’émanciper.
La parole donnée à la femme
Depuis son premier court-métrage, la réalisatrice n’a cessé de faire des portraits de femmes : elle a toujours voulu montrer ces caractères violentés, déprimés ou rebelles. À ce titre, elle met en lumière la complexité du rôle de la femme dans les sociétés patriarcales. Si elle présente plusieurs types de jeunes filles, épouses ou amantes à différentes époques, il y a toujours ce fil conducteur qui dévoile les déviances de l’être humain. Pour elle, ses « films sont des réactions à l’obsession de la société pour la normalité, sa propension à exclure les déviants. » [traduction libre de l’anglais]
La volonté d’affranchissement des femmes dans la société
La réalisatrice ne cherche pas qu’à montrer les difficultés et la soumission de ses héroïnes. Elle veut montrer des femmes fortes, sûres de ce qu’elles veulent et capables d’affronter le monde. Cette émancipation passe également par l’acceptation de leurs désirs et de leur sexualité qu’elles assument pleinement in fine. Mais une chose est claire : quels que soient l’époque, la classe sociale ou les problèmes psychologiques rencontrés, la cinéaste récompensée sonde ses personnages jusqu’au plus profond d’eux-mêmes. Elle fait ressortir la splendeur de ces femmes aux destinées pourtant si différentes.
Jane Campion restera dans l’histoire du grand écran comme la première femme à recevoir une Palme d’or à Cannes. En octobre 2021, elle deviendra la première réalisatrice à recevoir le Prix Lumière à Lyon pour l’ensemble de sa carrière. Elle aura également été plusieurs fois nommée en tant que présidente de grands festivals, comme à Cannes en 2014, preuve d’une reconnaissance de la profession pour son œuvre. C’est maintenant sur plusieurs décennies que l’on retrouve l’empreinte de la Néo-Zélandaise. Elle aura marqué le monde du 7e art de manière indélébile. Dame Campion, comme elle est appelée dans son pays d’origine, aura su faire bouger les lignes du cinéma féminin et aura peut-être inspiré de jeunes réalisatrices de l’hexagone comme Maimouna Doucouré.
Igor VAS-DEYRES, pour Celles qui Osent
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