Les femmes qui osent vous inspirent ? Vous êtes fasciné à la fois par leur audace hors du commun, et leur anticonformisme ? Parmi ces modèles de nanas qui mettent un grand coup de pied dans la fourmilière, connaissez-vous Kubra Khademi ? Performeuse, plasticienne et peintre, elle a risqué sa vie pour dénoncer les violences sexuelles dans son pays ultra patriarcal : l’Afghanistan. Depuis, elle n’a de cesse de vouloir libérer le corps féminin de l’oppression masculine. Celles qui Osent revient sur le parcours de cette artiste libre et engagée, aux performances sans compromis.
Une enfance étouffée par la violence et le sexisme
Naître fille en Afghanistan
Kubra Khademi naît en 1989 dans un village isolé, au centre de l’Afghanistan. Elle grandit dans une famille pauvre de 10 enfants. Chaque jour, la petite Kubra est confrontée à la violence verbale, mais aussi physique. Elle comprend vite que son existence compte peu : la société afghane, patriarcale à l’extrême, chosifie la gent féminine. Dépossédées de leurs droits fondamentaux, les filles et les femmes doivent se soumettre aux exigences des hommes, et leur obéir. Kubra s’insurge contre l’injustice de sa condition : elle cherche à se démarquer, ne se résout pas à rentrer dans le moule imposé. Alors sa mère la bat. Elle la frappe pour la punir, mais surtout pour la protéger des coups de son père et de ses frères aînés.
« Grandir sans entendre une seule fois que vous êtes un être humain est le quotidien des femmes afghanes. Refuser cet état de fait, c’est être fondamentalement féministe. »
Dessiner le corps des femmes malgré les interdits
Muselée, Kubra se raccroche aux petites choses de son quotidien. C’est au hammam public que survient la révélation : elle est littéralement subjuguée par la splendeur des corps de toutes les femmes qui l’entourent. De retour à la maison, elle ose les reproduire sur papier, puis cache ses dessins, consciente de braver un interdit. Car la transgression est forte : sous l’oppression des talibans, la représentation du corps est totalement proscrite. Lorsque sa mère découvre ses esquisses, la petite fille est sévèrement battue avec un câble électrique pour l’empêcher de recommencer. C’est mal connaître Kubra Khademi : armée d’une détermination à toute épreuve, l’artiste en herbe ne renoncera jamais à dessiner.
« J’étais plutôt rebelle, je ne suivais pas le droit chemin. »
Se révolter contre la domination masculine
À 11 ans, ses parents la retirent de l’école : Kubra doit apprendre la broderie pour maximiser « sa valeur marchande ». Son destin est déjà tout tracé. Comme sa mère avant elle, et des milliers de jeunes Afghanes, le mariage forcé l’attend à l’âge de 12 ans. Impensable pour Kubra qui aspire à la liberté et à l’indépendance. Alors, elle se révolte. Pour faire entendre sa voix, elle entame une grève de la faim. Inflexible, elle réussit à convaincre son frère aîné, devenu chef de famille à la mort de leur père, de la laisser partir étudier à Kaboul. Pour accomplir son rêve, Kubra travaille jusqu’à l’épuisement. Ironie du sort, c’est grâce à son habileté de brodeuse qu’elle parvient à gagner suffisamment d’argent, et s’extirper de sa condition.
Des performances radicales pour dénoncer les agressions subies par les femmes
Des œuvres féministes qui bousculent les codes du patriarcat
Kubra Khademi part enfin étudier les beaux-arts à l’université de Kaboul, puis à Lahore, au Pakistan grâce à une bourse. Une nouvelle vie l’attend, celle des performances publiques. Son style ? Des œuvres résolument engagées qui pointent l’oppression exercée sur les Afghanes. Son arme ? Son propre corps de femme.
« Quand j’ai commencé à m’explorer en tant qu’artiste, je me suis rendu compte que mon corps était toujours au centre de mon travail. »
Ses propositions artistiques dérangent et déstabilisent les codes bien établis par le patriarcat. Seule sur scène, la performeuse n’hésite pas à se gifler, pendant 45 minutes, pour attirer l’attention sur les violences domestiques. À plusieurs reprises, elle investit l’espace public habituellement dominé par les hommes. En 2013, elle recrée sa chambre d’étudiante au milieu d’une route et provoque un embouteillage. Mais c’est son retour sur sa terre natale qui marquera les esprits.
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Armor, la performance coup de poing sur le harcèlement sexuel en Afghanistan
Les images ont fait le tour du monde : en février 2015, sanglée dans une armure métallique qui exagère volontairement la forme de ses seins, son ventre et ses fesses, une jeune femme arpente une avenue de Kaboul. Elle est très vite entourée d’une horde masculine hostile qui la conspue, et mime des gestes obscènes.
La performance de Kubra Khademi, surnommée Armor, n’a qu’un objectif : dénoncer le harcèlement sexuel et les attouchements subis au quotidien par des millions de femmes et de jeunes filles afghanes dans la rue. Cette réalité, Kubra la connaît hélas trop bien : enfant, elle est agressée sexuellement en pleine rue. Elle imagine alors porter des sous-vêtements en fer pour être protégée des abus des hommes.
Si dans le monde occidental, la performeuse suscite l’admiration, en Afghanistan, une déferlante de haine s’abat sur elle. Menacée de mort, elle est contrainte de fuir son pays, et trouve refuge en France.
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Kubra Khademi : celle qui ose exposer le corps libre des femmes
La reconnaissance internationale
La jeune femme arrive à Paris en état de choc. Loin de son pays, l’exil lui pèse. Pourtant, sa voix ne s’éteint pas. Reconnue dans le paysage de l’art contemporain, la performeuse afghane est élevée au rang de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2016. Elle reçoit de nombreuses récompenses pour son travail (nomination aux Révélations Emerige en 2019, puis lauréate du prix 1 % marché de l’art de la ville de Paris en 2020). Kubra Khademi expose dans le monde entier (Biennale de Bangkok, MuCEM à Marseille, Signal à Bruxelles, etc.). En 2020, elle obtient la nationalité française.
Des peintures subversives
Dans ses créations picturales, Kubra Khademi ne s’impose aucune limite, aucune contrainte. Son trait semble naïf, mais son propos se veut puissant. En 2021, ses toiles « From the two page book », exposées à la galerie Éric Mouchet, et inspirées des miniatures persanes et de la calligraphie, ne laissent personne indifférent. Le corps féminin y est dépeint dans toute sa spontanéité, y compris dans des positions tabous (actes sexuels, défécation, etc.). Cette iconographie crue et dérangeante remplit parfaitement son objectif : faire voler en éclats les interdits autour de l’enveloppe charnelle des femmes, devenue un enjeu de pouvoir dans les sociétés patriarcales.
En 2022, Kubra Khademi réalise l’affiche du Festival d’Avignon. L’image la représente, accompagnée de ses 5 sœurs, nues, les unes derrière les autres, le regard tourné vers l’horizon. Tandis que certains s’offusquent, l’artiste rappelle que son travail s’affranchit de toute sexualisation : elle met exclusivement en scène des « corps libres de femmes ».
L’art pour s’affranchir de la violence des hommes
Ce style frontal et direct, parfois controversé, offre à Kubra Khademi une tribune d’expression vitale. L’artiste exorcise toutes les violences qu’elle a subies, y compris sexuelles.
« Fondamentalement, je cherche à être libérée de la violence et de l’injustice. »
L’intégralité de son travail repose sur la puissance de l’identité féminine, et se nourrit de la force et de la résilience des femmes afghanes. En août 2021, la plasticienne assiste désemparée à la chute de Kaboul et sa reprise par les talibans. Elle se mobilise afin d’aider ses compatriotes à quitter le pays. L’artiste publie une lettre ouverte (sur son compte Instagram) pour alerter la communauté internationale sur l’effroyable réalité des Afghanes réduites en esclaves sexuelles.
Car la jeune femme reste profondément attachée à sa terre natale. En juillet 2022, son exposition personnelle First but not Last Time in America à la Collection Lambert se penche sur la relation géopolitique de l’Afghanistan avec les États-Unis. Puis, sa performance De l’armure aux gilets dénonce les effets dévastateurs des guerres menées par les hommes.
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À travers ses œuvres, Kubra Khademi s’efforce de dénoncer tous les abus du patriarcat, et de faire entendre le cri et l’indignation de la gent féminine en Afghanistan, et plus largement dans le monde. Par sa détermination sans faille et son indépendance, elle incite chacune d’entre nous à s’affranchir des règles et des injonctions :
« Tout d’abord, libérez-vous de toutes les entraves et des assignations que la société, la famille et l’histoire ont créées pour vous parce que vous êtes une femme ! Dites-vous que vous êtes un être humain libre de penser, de décider et de FAIRE ! ».
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Linda Lam pour Celles qui Osent
Sources :
Podcast Affaires culturelles sur France Culture consacré à Kubra Khademi (8 mars 2022)
Interview de l’artiste sur le site du Festival d’Avignon (2022)
Podcast Leçons de rêves sur Radio France sur le parcours de la performeuse (20 août 2022)
Article sur le Site du Ministère de la culture (7 mars 2022)
Article de France Info portant sur Armor (MAJ le 6 décembre 2016)
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