Lhakpa Sherpa | La femme sur le toit du monde

Lhakpa Sherpa, alpiniste népalaise ayant gravi l’Everest 10 fois

On l’appelle le toit du monde. Son sommet domine le ciel de l’Himalaya et ses neiges éternelles ont déjà coûté la vie à plus de 300 personnes. Avec ses 8 849 mètres de hauteur, l’Everest est une montagne qui inspire autant le respect que la fascination. À la frontière du Népal et du Tibet, c’est la reine de toutes les hauteurs. Elle s’est pourtant vue conquise par de nombreux alpinistes au fil du temps. Parmi eux, une femme : Lhakpa Sherpa. Elle a réalisé cette ascension mythique pas moins de dix fois. Mais qui est donc cette Népalaise inscrite dans le Guinness Book des records pour son exploit ? Comment a-t-elle réussi à s’émanciper ? Entre la dureté des sommets et les désillusions outre-Atlantique, voici l’histoire de cette mère célibataire qui continue de marquer l’alpinisme international. Commençons avec ce seul message : il faut toujours viser plus haut.

Être une femme en Himalaya : l’émancipation pour s’élever

Lhakpa Sherpa est née dans une grotte en plein cœur de l’Himalaya. Plus précisément, près d’un petit village du Népal, au pied de la cinquième plus haute montagne du monde : Makalu. Comme le veut la coutume locale, on lui donne le nom du jour de sa naissance. « Lhakpa » signifie en effet « mercredi » en tibétain. Sa famille est nombreuse : elle a 11 frères et sœurs. Son père est un marchand itinérant, sa mère reste au foyer.

Malgré sa soif d’apprendre, Lhakpa ne peut pas aller à l’école, car c’est une femme. Elle y accompagne cependant ses frères de multiples fois avec l’espoir d’y rentrer, mais se fait refouler à chaque occasion. C’est lors des interminables trajets de retour en solitaire qu’elle se fait une promesse : en dépit des interdits de l’époque, elle n’aura de cesse de viser une meilleure vie.

Lhakpa Sherpa passe ses journées à regarder en haut. Au loin, elle distingue les plus impressionnants sommets du monde. Elle rêve bien vite de leur ascension. Après tout, son peuple a appris depuis de nombreux siècles à survivre à l’environnement hostile de l’Himalaya. Elle sait rapidement marcher à haute altitude et peut tenir longtemps sans manger. Un de ses frères lui enseigne même comment organiser une randonnée en toute sécurité.

À cause de sa grande taille, sa mère lui dit qu’elle ne pourra probablement pas trouver un mari. Elle prend donc un travail de porteuse aux camps de base pour les alpinistes à l’âge de 15 ans. Son objectif : gagner son propre argent, première pierre vers l’émancipation. Évidemment, elle se heurte à de nombreuses critiques. Une femme Sherpa, indépendante ? Folie ! Mais Lhakpa ne cède pas. Elle décide d’être la maîtresse de son propre karma. Plus tard, elle déclarera dans une interview à Climbing Magazine :

se former à la rédaction web

« Si je les avais écoutés, dit-elle, je serais en train de cultiver des patates avec mes quinze enfants. »

Lhakpa Sherpa et l’Everest : l’appel de la montagne

Le lien entre Lhakpa Sherpa et l’Everest ne s’éloigne pas beaucoup d’une véritable histoire d’amour. Entre première fois, présentation à la famille, promesses et reconquêtes, le parallèle est aisé. Quoi qu’il en soit, ce récit mérite d’être raconté.

Le premier sommet pour rendre hommage

À 20 ans, Lhakpa Sherpa rencontre le premier homme de sa vie parmi ses pairs : un alpiniste local du nom de Lopsang Sherpa. Ce montagnard endurci décide cependant de ne pas l’épouser à cause de sa grande taille. Intéressant point de vue pour quelqu’un qui tutoie les hauteurs… qu’importe, ils sont heureux.

Un jour terrible, une avalanche emporte Lopsang sur la face du Lhotse, un sommet à la frontière de la Chine. Lhakpa apprend sa mort dans un journal qu’elle ne peut même pas lire. Comme si c’était la motivation qu’elle attendait au-delà du chagrin, elle voit surtout ce drame comme une revanche à prendre sur la montagne. Elle vend ses bijoux et se paie une place dans une expédition pour l’Everest.

Lhakpa expérimente donc pour la première fois la rudesse de cet environnement extrême :

  • manque d’oxygène ;
  • gestes au ralenti ;
  • absence d’appétit ;
  • inconstance de la météo ;
  • crevasses dissimulées ;
  • avalanches fréquentes.

Le 18 mai 2000, elle devient pourtant la première femme vivante à avoir atteint le plus haut sommet du monde par sa face sud. L’exploit avait en effet été réalisé par Pasang Lhamu Sherpa en 1993, avant que celle-ci meure des séquelles de l’ascension pendant la redescente. Lhakpa Sherpa, elle, a survécu. Elle voit ce succès comme un témoignage et déclarera plus tard dans une interview pour la BBC :

« J’avais l’impression d’avoir atteint mon rêve quand j’ai atteint le sommet de l’Everest pour la première fois. J’avais l’impression d’avoir changé la culture sherpa, le statut des femmes sherpas et des femmes népalaises. J’aimais être hors de chez moi et je voulais partager ce sentiment avec toutes les femmes. »

Cependant et faute de réelle communication, la Népalaise empoche son certificat et les 1 500 $ de récompense dans l’indifférence quasi-générale.

Les autres ascensions pour continuer l’histoire

Peu après, elle rencontre le roumain George Dijmarescu dans un bar à Katmandou. Ils partagent le même amour de l’alpinisme et se marient rapidement.

En 2002, Lhakpa Sherpa déménage aux USA pour y suivre son nouvel époux. Elle rêve d’une vie différente et des opportunités propres au pays de l’Oncle Sam. En parallèle, George et elle continuent d’incarner leur passion pour la chaîne himalayenne. Ils grimperont notamment 5 fois ensemble sur l’Everest. En 2003, la Népalaise gravit à nouveau la montagne, accompagnée de son frère et de sa sœur. Le trio rentre dans le Guinness Book pour cette ascension familiale simultanée.

Avant la fin de l’année 2007, Lhakpa atteint le toit du monde 6 fois par la face nord, soit à nouveau une première pour une femme. Dans cette entreprise, elle peut notamment compter sur le soutien d’un de ses frères et de son agence de guides locale : Mingma Gelu Sherpa. Côté montagne, tout lui réussit.
Cependant, sa vie sur le continent américain s’éloigne de plus en plus du happy ending.

Entre le Népal et les USA : la redescente après les hauteurs

Connaissez-vous l’expression « au fond du gouffre » ? Après avoir atteint la plus haute des cimes, Lhakpa Sherpa a pu en saisir toutes les nuances. Ce qu’elle a voulu comme un nouveau départ au pays de la liberté prend en effet rapidement des allures de cauchemar.

Le rêve américain s’avère surtout être une chimère. Lhakpa et son mari se heurtent à la dure réalité. Derrière les pin-up et les hommes d’affaires en costume, se cachent surtout des millions d’individus avides de ce nouveau départ. La Népalaise ne possède aucune éducation et peine à parler anglais. Elle finit par trouver un petit boulot dans une chaîne de supermarchés. Pour boucler les fins de mois, elle fait des ménages. Ses employeurs ne se doutent absolument pas qu’ils ont embauché une recordwoman. La famille vit surtout de food stamps, les aides sociales locales. 

George est violent. Lhakpa essuie régulièrement des coups et se rend plusieurs fois à l’hôpital. Un jour, la montagne de son enfance devient le témoin de cette brutalité. Cet évènement est notamment relaté par TheDailyBeast dans son article sur les femmes alpinistes de l’Himalaya.

C’est en 2004, lors de sa quatrième ascension sur l’Everest. À l’intérieur d’une tente, son mari lui décroche un violent crochet droit dans l’œil. Prise de convulsions, elle perd connaissance. Son iris se teint de rouge, la montagne est mi-blanche, mi-écarlate. Elle est confiée aux bons soins d’un physicien italien qui la remet sur pieds tant bien que mal. Un peu plus tard, à la réception qui fête le retour de l’expédition, elle tente de masquer son coquard avec du maquillage de fortune. Sans succès. En effet, Lhakpa Sherpa est interrogée sur son état par un diplomate népalais inquiet. Elle répondra : « C’était le vent ».

Pour sa fille de 2 ans, elle n’envisage pas, à ce moment, de quitter son mari. Cependant, elle se jure de ne plus jamais tomber enceinte de cet homme.

L’univers lui fait pourtant un pied de nez quelques années plus tard. Alors qu’elle est de retour sur l’Everest en 2006 pour sa sixième ascension, elle apprend qu’elle attend un nouvel enfant de George. Elle grimpe le sommet avec l’intensité du désespoir, désirant même que la montagne et l’effort lui prennent le futur bébé. Rien n’y fait, elle parvient à son objectif sans heurts. Le monde à ses pieds, entourée des neiges éternelles, elle sent la petite fille à naître « briller » en elle. Elle décide de la garder et l’appellera Shiny.

Dix fois au sommet du monde : le record d’une mère célibataire

« Si la montagne semble inaccessible aujourd’hui, escaladez-la demain. »

— Walter Bonatti, alpiniste italien.

Face à la puissance de l’Himalaya, Lhakpa Sherpa devra parfois renoncer. L’Himalaya est imprévisible. En 2015, un tremblement de terre la force à abandonner ce qui aurait dû être sa 7e ascension de l’Everest. En 2010, elle tente de s’attaquer au mythique K2. C’est le deuxième plus haut sommet du monde, culminant à 8 611 mètres d’altitude. Elle est stoppée au troisième camp pour cause de mauvais temps.

Pendant des années, Lhakpa fait l’aller-retour entre le Népal et sa vie aux USA. Elle apprend correctement l’anglais et déniche même un sponsor pour sa neuvième ascension de l’Everest en mai 2018. C’est aussi l’année où elle divorce de George Dijmarescu, après 12 ans de mariage.

En 2020, elle démissionne de son travail alimentaire et décide de créer son agence d’expédition himalayenne : Cloudscape Climbing. Pas de chance, c’est la période Covid. Retour à la case départ. Deux ans plus tard, Lhakpa Sherpa persiste et quitte définitivement les États-Unis pour revenir s’installer au Népal avec ses enfants. Elle veut remonter sur le toit du monde. Cependant, ses finances sont limitées. Elle lance alors un crowfunding et puise dans ses propres ressources pour compléter la cagnotte.

Le 12 mai 2022, presque 20 ans après sa première ascension, elle bat son propre record et atteint le sommet de l’Everest pour la 10e fois. Cette consécration est reconnue par la presse internationale et Lhakpa se fait enfin reconnaitre pour ce qu’elle est : une pionnière.

Face aux journalistes, elle déclare être loin de sa retraite. Elle reconnaît que sa vie n’a pas été un long fleuve tranquille mais refuse d’y voir une fatalité. En plus de décrire l’alpinisme comme une source d’émancipation, elle prône l’importance de la culture sherpa. Enfin, elle espère surtout que son parcours encouragera les jeunes femmes à ne jamais abandonner malgré les difficultés.

Lhakpa Sherpa est un symbole de résilience. Longtemps dans l’ombre, elle profite maintenant de sa notoriété pour inspirer les grimpeurs du monde entier. Bien qu’elle soit déjà tournée vers son prochain objectif, le sommet K2, la Népalaise souhaite surtout que ses enfants puissent aller à l’université. Pour une femme qui n’a reçu aucune éducation, c’est sa plus grande ambition.

Geneviève Laudet, pour Celles qui Osent.

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