Historienne spécialiste du travail des femmes dans l’artisanat et le commerce, Lucile Peytavin publie en mars 2021 son premier essai Le coût de la virilité. Dans cet ouvrage, elle se demande ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes. Selon les chiffres des ministères de la Justice et de l’Intérieur, les individus masculins seraient responsables de la grande majorité des faits de délinquance et de criminalité dans notre société. L’historienne s’interroge alors sur l’origine de cette différence et livre ses constats à Celles qui Osent…
Pas le temps de lire, vous préférez nous écouter ? Détendez-vous, nous lisons nos articles pour vous ! Lien ci-dessous :
Une historienne féministe : Lucile Peytavin
Depuis toujours, Lucile Peytavin embrasse la cause féministe. « Je me rebellais très tôt contre le fait que les garçons monopolisaient tout l’espace de la cour de récréation par exemple ». Deux mois avant son baccalauréat, Lucile perd tragiquement sa mère. Elle commence alors des études de philosophie, puis se réoriente en histoire : « cela a été une révélation ». Elle participe, admirative, au cours de Sylvie Schweitzer, historienne du travail française, auteure de l’ouvrage Les Femmes ont toujours travaillé. Celle-ci met fin à l’idée reçue que les femmes sont arrivées sur le marché du travail à partir des années 1960. Lucile, qui aspire à l’égalité des sexes, découvre la notion de féminisme universaliste, affirmant l’absence de différence entre les hommes et les femmes.
« Nos destins ne sont pas prédestinés par notre biologie ».
Simone de Beauvoir
En master, elle choisit Claude-Isabelle Brelot, directrice de recherches, professeure et grande historienne moderniste spécialiste de la noblesse. « Elle m’a donné l’envie d’écrire, de manière très rigoureuse. » Pour sa thèse, Lucile définit son champ d’études : cela sera les femmes dans l’artisanat et le commerce au 19e et au 20e siècle en milieu rural. Elle s’intéresse à plusieurs familles, dont sa grand-mère maternelle, modiste et mercière, dans le nord de la Drôme, entre 1923 et 1965. « Les femmes ont toujours travaillé. Nous n’avons pas attendu la Seconde Guerre mondiale ou les années 60 pour le faire ! » D’abord chargée des questions d’égalité professionnelle et de dialogue social pour l’U2P, syndicat représentatif des TPE-PME, Lucile Peytavin rejoint en 2016 le Laboratoire de l’égalité où elle travaille sur la lutte contre la précarité des femmes.
Quelques mois après avoir soutenu sa thèse, Lucile Peytavin se lance dans un projet d’écriture ambitieux. « Cela faisait des années que je m’intéressais aux différences entre les genres dans la société. Un jour, un chiffre m’a interpellé : 96 % de la population carcérale en France est masculine. Pourquoi la violence et la délinquance semblent toucher davantage les hommes ? »
Le coût de la virilité : un constat onéreux
Tout débute donc par ce constat étonnant qu’en France, les hommes sont responsables de l’écrasante majorité de leurs comportements asociaux. Ils représentent 84 % des auteurs d’accidents de la route mortels, 92 % des élèves sanctionnés pour des actes relevant d’atteinte aux biens et aux individus au collège, 90 % des personnes condamnées par la justice, 86 % des mis en cause pour meurtre, 97 % des coupables de violences sexuelles, etc.
Ces chiffres ont un coût direct pour l’État qui dépense chaque année des milliards d’euros en service de police, judiciaire, médical et éducatif pour y faire face. Et un coût indirect pour la société qui doit répondre aux souffrances physiques et psychologiques des victimes.
En partant de ce postulat, Lucile Peytavin mène un travail de recherche et d’investigation pour calculer le coût faramineux que cela implique pour les services de police, de santé ou de justice. Le coût de la virilité correspond aux sommes qui sont supportées par l’État et la société pour faire face aux comportements asociaux des hommes. L’addition est salée : 95,2 milliards d’euros par an ! Ce chiffre n’est pas négligeable, car il est égal au déficit annuel du budget général de la France !
Les origines de la virilité masculine
Pourquoi ce besoin de recours à la force chez les hommes ?
Pour Lucile Peytavin, la virilité est issue d’une construction culturelle. Du point de vue purement étymologique, il n’y a d’ailleurs pas d’équivalent féminin à ce terme. Au paléolithique, la virilité n’existait pas au sein de leurs sociétés : les femmes chassaient et avaient autant de pouvoir que les hommes. Au Néolithique, avec la sédentarisation des peuples et l’avènement de l’agriculture, des inégalités apparaissent ; les hommes prennent possession des outils et armes en métal et le concept de domination virile émerge alors…
Non, les hommes ne sont pas violents par nature.
Les avancées scientifiques attestent aujourd’hui du fait qu’il n’existe aucun prédéterminisme biologique, « il n’y a rien dans le cerveau qui les pousse à agir ainsi. » Les expériences de vies et les apprentissages modèlent nos aptitudes.
« Les comportements virils sont malheureusement valorisés dans notre société. Nous en sommes tous victimes. Les hommes répondant à ces injonctions veulent prouver leur force, ils vont davantage se mettre en danger, en ayant des comportements pathologiques avec l’alcool, les drogues ou la vitesse. De plus, ils possèdent trois fois plus de risque de décéder avant 65 ans, d’une mort évitable ! » Par ailleurs, des niveaux élevés de testostérone chez un individu sont associés autant à une attitude altruiste qu’agressive.
« Il faudrait éduquer les garçons comme les filles, développer davantage leurs sentiments, l’empathie, leur faire respecter les règles. Valoriser les valeurs féminines et arrêter de penser qu’être femme est dégradant. La solution réside dans l’éducation. »
Le sujet est sensible. « Les hommes autour de moi se sont sentis visés. C’est pourquoi j’ai écrit un prologue dans lequel je souligne que je n’attaque pas les hommes, mais l’éducation à la virilité qu’ils reçoivent. » La virilité n’est pas un mythe, mais une construction sociale, que l’on peut déconstruire ! Bonne nouvelle, n’est-ce pas ?
Violaine B — Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent