Son nom a été effacé de la mémoire collective. Pourtant, Madeleine Pelletier, née en en 1874, est une femme étonnante, une avant-gardiste, impressionnante par son histoire personnelle et l’héritage, aujourd’hui oublié, qu’elle a laissé derrière elle. Première femme psychiatre de France, franc-maçonne, anarchiste, condamnée pour avoir pratiqué des avortements, puis internée… elle prônait déjà l’égalité entre les femmes et les hommes au début du XXe s. Découvrez, le temps d’un article, le destin tragique de Madeleine Pelletier.
Madeleine Pelletier, première femme psychiatre de France
Madeleine Pelletier naît en 1874, dans une famille pauvre, à Paris. Son père est chauffeur de fiacre, sa mère marchande de légumes. Ses parents sont très croyants, et de sympathie royaliste, mais leur fille se construit en opposition à leurs idées conservatrices : dès l’adolescence, autour de ses 15 ans, la jeune Madeleine fréquente les cercles anarchistes et socialistes, après avoir interrompu ses études à l’âge de 12 ans, qu’elle reprendra huit ans plus tard. Elle passe son baccalauréat en candidate libre, l’obtient, puis décide de suivre des études de médecine.
Elle se tourne, au bout de 5 ans d’études, vers l’anthropologie, et travaille notamment sur la différence entre les cerveaux féminin et masculin, la doxa de l’époque affirmant la supériorité cérébrale de l’homme sur la femme ; thèse avec laquelle elle est en désaccord et qu’elle cherche à réfuter. Lassée par le manque de fondement des théories sexistes de l’anthropologie de l’époque, elle se tourne vers la psychiatrie, mais se heurte à un obstacle de taille : le concours des internats des asiles. Nécessaire pour être psychiatre ce dernier est interdit aux femmes, sous prétexte qu’elles ne jouissent pas du droit politique. Elle est alors soutenue par La Fronde, premier journal féministe de France, et obtient le soutien du jury, dont elle a croisé les membres lors de ses différents stages en internat-externat. Un an plus tard, elle achève sa thèse, et est autorisée à passer le fameux concours.
Prôner l’égalité au 20e siècle : du féminisme d’avant-garde
Aujourd’hui, Madeleine Pelletier semble seulement connue dans un cercle restreint : celui des féministes, littéraires ou historiennes. Pourtant, à 31 ans, elle prend la présidence de « La solidarité de femmes », petit groupe de réflexion féministe, au sein duquel elle échoue à insuffler un vent de radicalité. Elle porte alors les cheveux courts, et le costume trois-pièces, au même titre que les hommes. Un look qu’elle gardera toute sa vie. En 1907, une semaine après qu’Hubertine Auclert ait jeté une urne de bulletins de vote pour protester contre l’interdiction, pour les femmes, d’avoir des droits politiques, elle lance des cailloux contre la vitre d’un bureau, puis part manifester à Londres aux côtés des suffragettes anglaises. Elle prône alors une égalité parfaite entre les hommes et les femmes : elle réclame des droits politiques pour toutes les Françaises, le service militaire pour les femmes, l’établissement d’une nouvelle morale sexuelle, la fin du mariage et de la cellule familiale, au profit d’un modèle communautaire, idée inspirée du socialisme, dont elle se revendique. Elle défend d’ailleurs une « virginité militante », voyant la sexualité, le couple, le mariage et la maternité, comme de facto asservissant pour les femmes. Qualifiée de « radicale » par ses consœurs, elle est d’ailleurs peu soutenue par les autres féministes, la jugeant trop extrême. Elle s’en éloignera peu à peu.
« Je montrerai les miens [seins] dès que les hommes commenceront à s’habiller avec une sorte de pantalon qui montre leur…»
Madeleine Pelletier
La fin tragique de Madeleine Pelletier dans un hôpital psychiatrique
Peu de temps après sa prise de fonction en tant que présidente de « La solidarité des femmes », Madeleine Pelletier adhère à la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO), l’ancien Parti socialiste français, fondé en 1909. Déçue par le manque de radicalité des politiques socialistes, elle se sépare peu à peu de la SFIO pour se tourner vers les anarchistes, qui partagent ses idées sur l’avortement, l’antimilitarisme, ou encore le malthusianisme (la mise en place d’un contrôle strict des naissances dans un contexte de surpopulation). Après la révolution russe, en 1921, elle rejoint les communistes, mais retire son soutien aux bolcheviks quelques années plus tard, devant la politique de la terreur menée par Lénine.
Plusieurs fois accusée d’avoir pratiqué des avortements, elle n’est jamais poursuivie. Mais en 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, elle est arrêtée pour avoir aidé une jeune fille de 13 ans, enceinte, à avorter, car violée par son frère. Elle ne cesse de clamer de son innocence et soutient qu’une femme de 65 ans, comme elle, atteinte de paralysie, trouble dont elle souffrait à la fin de sa vie, ne pourrait pratiquer un avortement. Elle est tout de même déclarée coupable, est internée à Saint-Anne, puis à Épinay-sur-Orge. Elle mourra, quelques mois plus tard, d’un accident vasculaire cérébrale, en asile psychiatrique.
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Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
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