Vous avez sûrement dû apercevoir Majida Ghomari dans des séries télévisées à succès (Family Business ou Candice Renoir), dans des films de Marc Fitoussi ou dans des clips (Camélia Jordana, Sofiane, Alonzo, Imen Es etc.). Danseuse et ex-mannequin au début des années 80, elle crée en 1986 la première agence de mode à Alger et forme les premiers modèles algériens, sous le nom de Majida Boukikaz. Après avoir été animatrice à TV5Monde, chargée de production à l’UNESCO puis comédienne de théâtre, Majida Ghomari ose se lancer tardivement dans le cinéma français. Rencontre avec une femme de 60 ans, une de celle qui ose évoquer avec beaucoup d’humilité sa carrière, des podiums aux plateaux de cinéma…
Une danseuse de ballet et de shows télévisés
Le rêve de devenir danseuse
Majida Ghomari naît en 1959 d’une mère normande et d’un père marocain à Essaouira (anciennement appelée Mogador pendant le Protectorat). Son père, orphelin, gouvernait la ville. « À l’époque, il faisait partie d’une élite. Rares étaient les Marocains qui avaient la chance de faire de hautes études (l’ENA) ».
Issue d’une famille de quatre enfants, elle fait ses classes dans des écoles françaises à Rabat. « J’ai été élevée avec une éducation culturelle et artistique à laquelle mes parents étaient très attachés ». Dès l’âge de 7 ans, passionnée par la danse, elle prend des cours avec une ancienne professeure du Bolchoï. Lorsque son père est nommé Consul du Maroc à Lille, sa famille s’installe en France. Elle continue la danse, avec un professeur de l’Opéra de Lille, Monsieur Lecoq. À ses 16 ans, après le divorce de ses parents, elle rejoint sa mère à Épinay-sur-Seine où elle suit des cours au conservatoire de la ville. Après son diplôme littéraire option langues vivantes (espagnol, anglais, arabe) au lycée Honoré de Balzac, elle intègre une école de danse professionnelle. « Tout ce qui m’importait c’était de décrocher mon bac, car il était obligatoire pour entrer à l’Institut Pédagogique d’Art chorégraphique. On y suivait des cours théoriques et pratiques. Étudiante boursière, je venais de voir Fame et mon obsession était de danser toute la journée ! ».
Ballet avec Béjart et shows télévisés sur Champs Elysée
À 20 ans, Majida Ghomari poursuit un cycle d’études de trois ans à l’école du Creuset de la Danse, dirigée par Ruti Mesnil. Elle réalise ainsi son rêve de danser sur les planches en intégrant une compagnie. En parallèle, elle devient mannequin et danseuse dans des émissions télévisées telles que Champs Élysées animés par Michel Drucker et dans des programmes italiens (Potere a le donne), dans lesquels elle est engagée comme Prima Ballerina à la Rai de Milan. Quand elle rencontre le père de ses enfants, son futur mari celui-ci l’encourage à obtenir les diplômes pour enseigner la danse plutôt que de la pratiquer. Elle s’inscrit donc à la Sorbonne pour une licence en danse dont elle obtient la gratuité grâce à une audition : elle rejoindra le Groupe chorégraphique de la Sorbonne (dirigé entre autres par Anne Dreyfus).
À 23 ans, Majida Ghomari passe une audition pour travailler avec Maurice Béjart. « Béjart était un homme, très exigeant. Pas toujours bienveillant dans mes souvenirs de danseuse. J’ai préféré collaborer avec Carolyn Carlson, une femme d’une générosité immense ! » Parmi 300 candidates, elle est sélectionnée par Maurice Béjart pour danser au Festival d’Aix-en-Provence Variations pour une porte et un soupir. Le chorégraphe s’intéresse beaucoup à la culture orientale et lui demande d’intégrer sa compagnie, à Bruxelles ; proposition qu’elle décline pour suivre son mari qui devait s’installer à Alger. « Dans la culture arabo-musulmane, cela n’est pas forcément très bien perçu de danser quand on est une mère. Il m’a fallu accepter de ne plus faire de scène en Algérie. J’ai alors enseigné la danse. Sans aucun regret. J’ai découvert le plaisir de la transmission. »
Une femme libre, animée par l’amour du spectacle
Fondatrice de la première école de mannequinat à Alger
À Alger, Majida Ghomari-Boukikaz découvre qu’il n’existe pas de défilés de mode professionnels et chorégraphiés « alors qu’il y a énormément de stylistes très talentueux ». Elle fonde donc la première école de mannequinat. Djamel Allam, grand chanteur kabyle, lui propose de créer une agence de mode au sein de sa propre Agence Artistique Algérienne (AAA). Elle est chargée de la mise en scène du premier défilé chorégraphié de haute couture en Algérie.
Majida tente de transmettre à ses futures mannequins une formation complète grâce à son expérience dans la danse et dans la mode : « La beauté n’est pas uniquement quelque chose de physique. Sur le podium, il faut dégager de la personnalité. Lever la tête ! Être fière d’être une femme, ne pas avoir honte de son corps. » Elle encourage les modèles à assumer pleinement leurs complexes, s’estimer davantage ou éveiller leurs élégances naturelles. « L’importance de s’accepter telle que la nature nous a fait. »
Engagée par le Colonel Senoussi, directeur de Riad El Feth, elle s’occupe de la mise en scène et des chorégraphies des « Salons de la création de Riad El Feth », présidées par Pierre Cardin, afin de promouvoir une cinquantaine de couturiers et stylistes algériens.
Reconversion professionnelle à TV5 Monde
« Malheureusement, en 1989, le pays connaît des émeutes et des soulèvements sanglants. C’est le début de ce que l’on appelle les années noires. Le centre culturel est vandalisé. » Majida Ghomari se cache dans un hôtel avec ses deux enfants, apeurées par des menaces de mort. Elle se réfugie au Maroc où elle ouvre une nouvelle école de danse. En 1992, à 32 ans, elle décide de retourner vivre en France, puis divorce. Donner des cours ne suffit plus à élever seule ses deux fils. « En France, il existe de nombreuses associations extraordinaires, qui aident les femmes à trouver une autre voie professionnelle. »
Durant cette période de reconversion, Majida décroche un stage en audiovisuelle au sein de TV5 Europe, puis est engagée comme assistante de production de l’émission hebdomadaire Correspondances. « Nos invités étaient des animateurs, des réalisateurs, des personnalités, des producteurs français, belges ou canadiens qui répondaient aux questions de téléspectateurs des quatre coins du Monde. C’était riche de rencontres ! » Très vite, elle anime un jeu puis devient animatrice en alternance avec la journaliste Anne Brucy, jusqu’à ce que le programme s’arrête en 1999. Comme toujours, Majida rebondit et devient assistante de production au Studio audiovisuel de l’UNESCO ; elle est chargée des archives, de la salle de cinéma etc. Parallèlement, animée par l’amour du spectacle, elle participe et joue dans différentes pièces à l’atelier du Théâtre l’Échangeur à Bagnolet.
Oser jouer tardivement au cinéma
Jouer sur les planches…
En 2001, le directeur du Théâtre l’Échangeur lui propose d’intégrer sa Compagnie Public Chéri. Dilemme. Majida Ghomari interroge alors ses enfants : « Maman, réalise ton rêve. Tant pis, nous mangerons des pâtes tous les jours ! » Quand on lui reproche d’avoir quitté ce poste de fonctionnaire internationale en CDI, Majida répond : « La vie n’est pas un contrat indéterminé ». Sur les planches, elle joue dans Onomabis Repetito, Ex Onomachina, Populiphonia ; des pièces de Brecht, Copi, Fassbinder, Maïakovski, Claudel etc.
Elle travaille à la mise en scène d’une cinquantaine de spectacles-ateliers avec son compagnon Fabrice Clément, comédien dans la compagnie Public Chéri. ls animent ensemble pendant quatorze ans des ateliers en milieu psychiatrique et scolaire. Ils créent avec Caroline Lejeune l’association Chacun sa part de croûte et produisent leurs propres spectacles : Aux noms du foot, le cahier etc.
… puis devant la caméra
Armée de cette expérience en tant que comédienne de théâtre, Majida Ghomari ose aller de l’avant et pousser la porte des plateaux de cinéma. Elle va à la rencontre de directeurs de castings, de réalisateurs, se forme sur les tournages et apprend à jouer devant une caméra. « En 5 ans, j’ai participé à une vingtaine de courts-métrages et fait de nombreux stages de formation. Ce sont à chaque fois de belles rencontres. J’ai été dirigée par des femmes réalisatrices magnifiques : Anaïs Volpé, Valérie Donzelli, Anne Voutey, Karima Gherdaoui, Rébecca Zlotowski, Thitia Marquez, Cheyenne Marie-Carron et Esther Jacopin. Dernièrement, par de très jeunes réalisatrices : Mathilde Rochais Gensac ou encore Mégane Chalard. J’ai beaucoup d’admiration pour toutes celles qui se battent dans un milieu très masculin et j’ai l’espoir que de plus en plus de femmes prennent confiance en elles pour réaliser de beaux projets. »
Majida Ghomari se remémore sa première expérience de tournage.
« Nous tournions le court métrage L’heureuse élue, avec Camélia Jordana. La production a eu un contretemps de dernière minute et nous n’avions plus de coiffeur. Camélia s’est tout de suite proposée pour coiffer tous les comédiens alors qu’elle avait le premier rôle ! Nous avons gardé des liens forts. Je suis impressionnée par sa maturité, sa bienveillance. C’est une jeune artiste bourrée de talents qui n’a pas fini de nous étonner. J’ai beaucoup d’amour pour elle ».
La réciproque est évidente. Camélia l’invite à apparaître dans bon nombre de ses clips, comme ceux de Facile, LOST ou Big Party.
Combattre les stéréotypes et s’opposer au « Tunnel des 50 »
« On me demande souvent de jouer des mamans, des grand-mères maghrébines, sans fonctions particulières. Notre difficulté, pour nous les acteurs de la diversité, est d’être rarement choisis pour jouer des rôles de médecins, d’avocats, ou de professeurs… Le combat pour que les choses changent dans les fictions françaises est très long ; elles véhiculent encore beaucoup de clichés. » Aisha Ponelle, son agent de l’agence Fa7, se voit refuser des rôles par les directeurs de casting, car Majida Ghomari, normande et marocaine, est » soit trop maghrébine, soit pas assez. »
Un autre combat à mener pour les actrices qui dépassent la cinquantaine est celui de leurs représentations dans l’audiovisuel français. C’est pourquoi Majida m’évoque l’initiative de Marina Tomé, coresponsable avec Catherine Piffaretti de l’association le Tunnel des 50 : « Plus d’une femme majeure sur deux a plus de 50 ans. Pourtant, cette majorité est traitée comme une minorité invisible. À l’écran, les personnages féminins ne vieillissent pas, ils disparaissent. C’est la manifestation flagrante du patriarcat ! D’après une étude récente, seuls 6 % des rôles sont attribués aux femmes de plus de 50 ans.” Majida ajoute : “avec 19 % d’écart salarial entre les femmes et les hommes, nous avons encore beaucoup de travail !”.
Son adhésion aux causes féministes n’est pas récente. Adolescente, elle admire déjà la démonstration de Simone Veil au parlement pour faire voter la loi dépénalisant l’IVG. “ Ma sœur Mounira a joué un rôle déterminant dans ma vie de femme libre, en commençant par m’offrir à 17 ans le livre La cause des femmes de Gisèle Halimi. Elle m’a toujours appris à me débrouiller seule et de ne jamais dépendre d’un homme financièrement. J’ai compris très jeune ce que signifiait être féministe.”
Malgré la pandémie mondiale, les tournages continuent, mais les sorties en salle sont fortement perturbées. “L’industrie du cinéma souffre beaucoup en ce moment”. Prochainement, nous retrouverons Majida Ghomari dans plusieurs longs métrages :
- Mon fils Malik (sortie prévue le 3 mars 2021) de @thitia_marquez, scénario@dimitribagot Production @themagicfilms et @floriandetomasi
- Entre les vagues, de @anais_volpe avec @deborahlukumuenaa et @souheila.yacoub
- Je t’aime filme-moi, de @alexandre.messina avec Christophe Salengro et Michel Crémades
- Le fils d’un roi de Cheyenne Marie-Carron.
- Soumaya, de @ubaydah.abu.usayd et @waheed_filmaker @soumaya.fr avec @soraya_hachoumi et @sonyamellah
Dans des séries télévisées :
- Les engagés, saison 3, série de Sullivan Le Postec @sullivanlp et William Sahama w_samaha, pour France Télévision avec @mehdimeskar,@eric pucheu, @adrian.de.lavega, @claudius_pan, @romainogereau,@denisdarcangelo, Nanou Harry, @malika_azgag @addaabdelli @nacerazaidi
- Virtue, de Fabien Dufils @fabiendufils
- Nona et ses filles, de @valeriedonzelli pour Arte
- Intraitables, de Marion Laine avec @fredtestot et @zineb_triki
Dans des courts-métrages :
- Le fumoir, de @melhabedia, diffusé sur Canalplus
- Sororité, de Kourtrajmé
- Zhila, de Mathilde Rochais Gensac et l’Or Puy Martin ESEC
Au théâtre :
Retours de Fredrik Brattberg, mise en scène Arlette Desmots / Aux noms du foot de Fabrice Clément et Majida Ghomari. (Dès que les lieux culturels rouvriront)
Agence FA7 | Majida Ghomari
Sur Facebook : @majidaghomari
Sur Instagram : https://www.instagram.com/majidaghomari/
Merci Majida Ghomari pour ta gentillesse et ta simplicité.
Violaine B — Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
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