Titanesque : voici un mot pour définir le travail de Marie Colvin femme reporter de guerre. Elle a écrit les atrocités des régimes brutaux du monde pendant plus de 20 ans. Pourtant, la journaliste ne s’autoproclame pas comme une héroïne. Au contraire, sa plume terre à terre donne une vision humaniste des conflits. Raconter la vie des civils, c’était sa drogue, ou du moins l’une d’entre elles. Les violences dont elle a été témoin ont laissé des traces physiques et psychiques. Cependant, jusqu’à son décès, elle est restée un être humain : dans ses écrits, dans ses actes ainsi que dans sa féminité appréciée et dépassée au péril de sa vie. Celles qui osent raconte le courage, l’empathie, la ténacité et la féminité de Marie Colvin.
Marie Colvin, la femme de toutes les guerres
Grande, les traits du visage et du corps saillants, les cheveux bouclés, Marie Colvin a participé aux premières lignes de tous les conflits jusqu’à son décès tragique en 2012. Après la Tchétchénie, la Libye, l’Irak, la Tunisie, l’Égypte, l’Iran, le Zimbabwe et le Sri Lanka, la carrière de la correspondante du quotidien britannique The Sunday Times s’est arrêtée lors de la guerre civile syrienne. La journaliste a perdu la vie lors d’un bombardement ciblé du gouvernement de Bachar Al Assad sur un centre de presse dans le quartier de Baba Amr à Homs. Marie Colvin, âgée de 56 ans, a vécu sur tous les fronts à la recherche d’informations et de vérités du quotidien des civils.
Les violences du Sri Lanka ont laissé des traces
Couronnée de plusieurs récompenses journalistiques, elle a participé à la signature des Accords de paix d’Oslo avec Yasser Arafat. Elle a également noué une relation de confiance avec le dictateur libyen Muammar Gaddafi. Outre ces sources officielles, la femme a toujours tiré son épingle du jeu pour obtenir des informations et se rendre en zone interdite. Cela lui a d’ailleurs coûté l’œil gauche. En 2001, au Sri Lanka, après l’interview du chef des rebelles tamouls et la découverte de 340 000 réfugiés oubliés du monde et coupés de toute aide humanitaire, elle est attaquée par un jet de grenade de l’armée officielle. Les débris de l’engin explosif l’ont touchée à la cuisse, à la poitrine, aux épaules et à l’œil. Depuis cet événement, elle est connue pour porter un cache-œil noir. La pirate Marie Colvin est née !
La féminité de Marie Colvin dans ses reportages de la vie des civils
Cela n’a pas arrêté la ténacité de la journaliste. Son style d’écriture se voulait au plus près des victimes des conflits qu’elle a couverts. Elle donnait la voix aux sans voix. Marie Colvin le sait : à tout moment, elle peut rentrer dans le confort de sa maison à Londres. En revanche, les femmes et les enfants des zones en chaos, non.
Lors de la prochaine guerre que je couvrirai, je serai encore plus impressionnée par le courage silencieux des civils qui endurent beaucoup plus que ce que je n’endurerai jamais.
C’est cette conviction qui l’a poussée à rapporter les excès des régimes dictatoriaux et attirer l’attention des pays occidentaux. Elle répète souvent : Pourquoi est-ce que le monde n’est pas ici ? La famine, la pauvreté, les maladies, les blessures, la mort : la journaliste s’est efforcée de les raconter en les humanisant. Lors de son premier reportage pour The Sunday Times en 1987 à Beirut, elle et son photographe ont dû traverser une route d’environ 200 mètres sans être abattus par les tirs d’une milice. Chose faite ! Haji Achmed Ali n’a pas connu cette chance. Marie Colvin a assisté à sa fusillade le lendemain. L’image de cette jeune Palestinienne avec ses petites boucles d’oreilles dorées et la mare de sang autour d’elle a marqué la journaliste à tout jamais.
Journaliste dans le chaos et accro à l’adrénaline dans la vie
Dans la biographie A private War, on apprend d’ailleurs que la femme reporter de guerre Marie Colvin souffre de cauchemars presque quotidiens. Le film hollywoodien retrace la vie de la correspondante à partir de l’article long format posthume écrit par Marie Brenner pour Vanity Fair. Divisée entre son besoin d’être sur le terrain et la volonté de ses proches de soigner son trouble de stress post-traumatique, Marie Colvin apparaît tourmentée par ces années passées à voir les atrocités du genre humain. Son alcoolisme, ses constantes cigarettes, ses fréquentes fêtes londoniennes, son goût pour le glamour et sa vie amoureuse compliquée sont dépeints.
Cependant, le film détaille également sa ténacité face à ses supérieurs hiérarchiques qui ont tenté à maintes reprises de lui faire prendre conscience des risques encourus. Ce, peut-être à demi-mot, puisque la responsabilité du The Sunday Times dans le décès de Marie Colvin a été induite. Son rédacteur en chef aurait-il dû l’empêcher de devenir un danger pour elle-même ?
« Le courage, c’est de ne pas avoir peur d’avoir peur »
Au regard des portraits de la correspondante, c’était peine perdue. L’Américaine avait l’indépendance dans le sang : « Nous devons toujours nous interroger si l’histoire en vaut le risque. Est-ce que le risque que l’on prend vaut l’importance de l’histoire que l’on veut raconter ? » Pour elle, rendre la guerre plus humaine valait plus que l’insécurité omniprésente. Elle a écrit ce qu’elle a vu, objectivement et subjectivement.
Raconter la guerre et en mourir
La veille de son décès, accompagnée par son ami et photographe Paul Conroy, elle a rejoint un hôpital d’Homs alors que la ville était bombardée sans pitié ni remords. « Aujourd’hui, j’ai vu un bébé mourir », écrit-elle dans son dernier reportage. Une phrase qu’elle a répétée en direct sur la chaîne américaine CNN peu de temps avant que l’artillerie de Bachar Al Assad ne soit déployée sur eux. Cependant, c’est ce que les bons journalistes font : leur métier, au péril de leur vie.
Marie Colvin femme reporter de guerre respectée
Marie Colvin est décédée le 22 février 2012 aux côtés du photojournaliste français Rémi Ochlik. Pour Marie, la peur n’avait pas sa place. Elle ne craignait pas d’agir dans des pays où la misogynie est à son paroxysme au quotidien. Elle ne se vantait pas d’être une femme reporter de guerre. Sa féminité, Marie Colvin la célébrait à sa façon :
- Des sous-vêtements de satin sous sa veste de cuir brune.
- Des ongles propres cramponnés à son matériel.
- Son empathie dans ses reportages.
- Son charme et son humour qui ont parfois dérouté ceux qui se mettaient au travers de son chemin.
Féministe malgré elle
Malgré sa féminité clairement assumée, la correspondante ne voulait pas être associée au cliché de la femme sensible, peureuse, faible et vulnérable. Aurait-elle été féministe ? Au contraire, selon elle. Marie justifiait la présence de journalistes féminines dans les zones de conflits armés comme un besoin de repousser leurs limites – plus que les hommes – pour savoir jusqu’où elles pouvaient survivre.
« Il n’y a pas de femme ici, seulement une journaliste »
Le mérite de Marie Colvin, c’est d’avoir gagné cette place de journaliste respectée et protégée par ses sources. Elle n’est pas la seule : son influence majeure, Martha Gelhorn, correspondante lors de la Seconde Guerre mondiale, l’a fait bien avant elle. D’ailleurs, partout où elle allait, Marie emportait son livre The Face of War. Gloria Emerson, journaliste au New York Times, a décrit minutieusement les déboires de la guerre du Vietnam. Marie Colvin n’a donc pas été la première correspondante de conflits armés. Ses successeuses sont aussi nombreuses. Elles peuvent compter sur l’héritage de la femme reporter de guerre. Le Marie Colvin Network vient en aide à toutes les journalistes domiciliées en zone de guerre. Le réseau organise des tutorats par des collègues occidentales, du soutien face aux menaces et aux dangers quotidiens, des formations pour sécuriser leurs communications en ligne, etc.
Under the wire, In Extremis, A private War : de nombreuses œuvres célèbrent l’ardeur journalistique de Marie Colvin. Toutes rappellent son désir de donner la voix aux sans voix. Un souhait que la militante Nadège Batou exprime également dans ses films. Être une femme reporter de guerre comme Marie Colvin l’a été, c’est s’oublier soi-même pour découvrir les pouvoirs de l’empathie, mais aussi ses limites.
Eloïse Speleers
Sources :
- https://www.vanityfair.com/news/politics/2012/08/marie-colvin-private-war
- https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000259393_fre
- https://www.theguardian.com/media/2018/nov/10/marie-colvin-legacy-film-memoir
- A private War, Matthew Heineman, UK/US, 106 min, novembre 2016
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