Marie-Monique Robin est née en 1960 à Gourgé dans le département des Deux-Sèvres, où elle a grandi. Depuis quarante ans, elle sillonne le monde en tant que journaliste d’investigation, et a réalisé de nombreuses enquêtes sur, entre autres, les pesticides et le monde agricole, les droits des femmes, la crise du chômage en France, la torture aux États-Unis, l’implication de l’armée française dans les dictatures latino-américaines… Cette journaliste engagée pour les droits humains, prix Albert Londres 1995, vient de sortir un livre : La Fabrique des Pandémies pour lequel elle a interviewé 62 scientifiques sur la question de l’effet de la destruction de la biodiversité sur l’émergence des maladies infectieuses. Celles qui Osent a eu l’occasion de la rencontrer lors d’une interview, pour parler de sa dernière enquête mais aussi de sa carrière impressionnante et de ses nombreux engagements…
La genèse d’une vie de journaliste engagée
Marie-Monique Robin a étudié les sciences politiques en Allemagne, avant de se spécialiser dans des études de journalisme à l’université de Strasbourg. Elle est née dans une famille d’agriculteurs, dans le Poitou-Charentes, qui lui a donné un sens profond de l’engagement et du don de soi au service d’autrui.
Mes parents m’ont toujours dit qu’on pouvait changer le monde. C’est une motivation très profonde chez moi, j’ai été élevée dans une famille chrétienne, attachée à la question des droits humains. Ma première manifestation était en 1973 contre le coup d’État de Pinochet au Chili. J’ai été très touchée par les dictatures en Amérique latine, nombreuses dans les années 1970.
Alors que Marie-Monique est étudiante en Allemagne, elle est interpellée par l’émergence du parti écologiste allemand et par la multiplication des mobilisations citoyennes en faveur d’alternatives au modèle économique dominant de l’époque.
L’envie de devenir journaliste est née de l’envie de dénoncer les violations des droits humains. J’ai tout de suite eu envie d’aller en Amérique Latine, où je me suis d’ailleurs rendue plus de 130 fois par la suite. Petit à petit, mon engagement s’est élargi à tous les sujets, puisqu’on peut tout analyser à travers le prisme des droits humains. J’ai fait des films sur les droits des femmes, des enfants. Puis je me suis orientée doucement vers une dénonciation du modèle agro-industriel, car je considère que ceux qui contrôlent la semence contrôlent les peuples. Cela a naturellement débouché sur des thématiques écologiques. Les droits fondamentaux, c’est aussi le droit de respirer un air pur, d’avoir accès à de l’eau potable, ce qui est loin d’être le cas partout.
Une journaliste engagée dans la préservation de la biodiversité
Marie-Monique a réalisé de nombreux films, puis écrit des livres complémentaires de ses documentaires sur le sujet de la faillite du monde agricole. Dans Sacrée Croissance, elle prend l’exemple de la ville canadienne de Toronto, qui, en cas de siège, ne pourrait rester auto-suffisante que trois jours. Dans Notre Poison Quotidien, Marie-Monique étudie la présence de certaines molécules dans le corps humain liées à l’apparition de maladies et issues de pesticides servant à traiter les produits de notre alimentation quotidienne. Dans Le Monde selon Monsanto, qui est probablement son documentaire le plus connu, la journaliste engagée s’attaque à la multi-nationale Monsanto et à l’effet du Round-Up, son pesticide phare, sur l’environnement et l’organisme de l’homme.
Mes parents, en tant qu’agriculteurs, ont, au début de leur carrière, contribué au modèle agro-industriel dominant. Au début de sa carrière, mon père disait qu’il fallait nourrir le monde. À la fin de sa vie, il disait que cette mentalité-là était complètement stupide : pourquoi nous, les paysans français, irions-nous nourrir les Africains ? Laissons les Africains se nourrir eux-mêmes et favorisons l’agriculture de proximité.
Mon père était un grand connaisseur d’oiseaux, ma mère, une jardinière hors-paire. J’ai grandi dans une ferme qui appartenait à ma famille depuis trois siècles, j’ai des racines rurales très profondes qui ont fait que j’ai une connaissance intime de ce monde agricole. Le fait que je fasse Le Monde selon Monsanto a fait l’effet d’une bombe dans ma famille. C’est là qu’on a découvert l’effet des pesticides dans mon entourage. Cela a remis en cause tout le modèle agricole de la ferme familiale qui est d’ailleurs devenue bio.
Des enquêtes journalistiques longues et poussées
Marie-Monique complète souvent ses documentaires par des livres. Dans ses ouvrages ainsi que dans ses films, elle se met en scène en train de travailler, de passer des coups de téléphone, de faire des recherches sur internet. En moyenne, réaliser une enquête lui prend au moins deux ans.
À présent, j’ai acquis une expérience qui fait que je travaille plus facilement qu’auparavant. Je sais davantage où chercher, comment rassembler mes sources. Cela m’a beaucoup aidée dans l’écriture de La Fabrique des Pandémies, livre dans lequel j’étudie le lien entre santé et biodiversité. J’utilise beaucoup Internet, qui n’existait pas quand j’ai commencé. Je télécharge des documents, des études, des rapports. Cela me permet d’identifier des personnes intéressantes à contacter. C’est précieux car à la fin de mes livres, le lecteur ou la lectrice peut retrouver toutes mes sources. Je suis très rigoureuse, je vérifie tout, j’ai un maximum de témoignages devant la caméra. Ma rigueur me met à l’abri des poursuites quand je travaille sur des sujets polémiques.
Tourner un film et écrire un livre est très complémentaire. Écrire un livre est une autre manière de raconter une histoire, j’y inclus davantage d’informations et je dévoile ma manière de travailler. En vérité, je n’ai jamais supporté la télévision car je déteste la publicité. Dans ma jeunesse, j’étais très cinéphile mais je me destinais à travailler pour la presse écrite.
Marie-Monique Robin a travaillé, entre-autres, pendant plusieurs années pour l’agence privée de documentaires et de reportages Capa, avant de devenir une journaliste engagée et indépendante. Aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de travailler pour les médias, notamment lorsque l’on réalise des enquêtes aux quatre coins du monde comme c’est le cas pour Marie-Monique.
Après avoir travaillé pour des agences privées, j’ai eu envie de créer ma propre maison de production. Les gros producteurs font des films à la chaîne et se soucient peu du contenu. Je n’avais jamais accès au budget, et je trouvais cela insupportable. C’est comme ça qu’il y a dix ans, j’ai créé ma maison de production avec mon mari pour surveiller les dépenses et entamer une démarche citoyenne. On a accès aux financements classiques des chaînes de télévision, mais 10 à 15% de nos films sont financés de manière participative. Mes enquêtes coûtent cher, je voyage beaucoup, je travaille avec des professionnels : un ingénieur du son, et un, voire deux cameramen.
L’évolution des médias et de la perception du métier de journaliste
Dans son documentaire de 2019, Nouvelle Cordée, Marie-Monique Robin donne la parole à Philippe, un chômeur de longue durée, qui explique avoir été impressionné par sa caméra et son statut de journaliste. Cela reflète une certaine méfiance et un inconfort vis-à-vis des médias, qui peuvent même parfois même se transformer en hostilité à l’égard des journalistes.
Personnellement, je ne sens pas d’hostilité à mon égard. Dans le cas de Philippe, j’ai d’abord fait sa connaissance, et je ne l’ai interviewé que quand il était prêt à parler. Quand j’ai tourné Nouvelle Cordée, je suis restée quatre ans sur place. Je suis tout de même consciente de cette hostilité croissante des gens envers la presse. Cela me fait de la peine et je défends les journalistes. On a assisté à une privatisation de tous les médias, aussi bien dans l’audiovisuel que dans la presse. Nous vivons dans un monde où les fake news fleurissent sur la toile, et où nous avons besoin de journalistes professionnels qui soient capables de vérifier leurs sources, recouper les informations. Malheureusement, nous sommes en train de précariser les journalistes, ce qui est très grave pour la démocratie.
Quand on demande à Marie-Monique Robin si elle se définit comme une réalisatrice de documentaires ou comme une militante en raison de son profil de journaliste engagée, elle répond :
Milito en latin signifie partir en guerre. Alors oui, je dis que je pars en guerre contre les mensonges institutionnels, la désinformation. C’est tout à fait dans la ligne droite de mon maître à penser Albert Londres, père du journalisme d’investigation en France qui disait : « Notre métier ce n’est pas de faire du tort ni de faire du bien, c’est de mettre la plume dans la plaie ». Moi je dis « mettre la caméra dans la plaie », cela veut dire que le rôle des journalistes est de dénoncer les dysfonctionnements majeurs. Je rappelle que la presse est censée être le quatrième pouvoir démocratique, après l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Tout ça pour dire : je pense que les journalistes doivent être des militants de la vérité.
L’anecdote que nous raconte Marie-Monique sur le tournage de l’un de ses films, Sacrée Croissance, s’est produite à Toronto, au Canada, où elle a rencontré des personnes ayant fait de longues et prestigieuses études et s’étant reconverties en faveur de l’agriculture de proximité.
Ils avaient tous entre 30 et 40 ans, et j’aperçois un jeune en train de ramasser des radis. Je lui demande de raconter son histoire et il m’explique qu’il avait une vie difficile, faite de conflits et d’addiction à la drogue, avant le visionnage d’un film montré par l’un de ses professeurs d’école qui l’a poussé à travailler dans l’agriculture biologique. Le film en question était The world according to Monsanto, à savoir mon documentaire. C’était incroyable. Des histoires comme ça, j’en ai plein. C’est d’ailleurs très gratifiant parce que cela nous donne envie de continuer à faire ce métier.
Quand on demande à Marie-Monique ce que signifie pour elle le verbe « oser », et qui elle nous conseille d’interviewer, elle répond :
C’est d’abord se dire qu’il n’y a aucune fatalité, et que tout est possible tant qu’on se donne les moyens de le faire. Parfois dans mon métier, on peut se dire qu’une enquête va être trop difficile à réaliser car trop polémique. Oser, c’est avoir confiance en soi.
Sabrina Krief, que j’ai interviewée pour La Fabrique des Pandémies, et qui fait un travail extraordinaire auprès des chimpanzés en Ouganda. Elle explique très bien à quel point l’homme est connecté aux animaux sauvages, on ne peut pas dissocier la santé des écosystèmes, des animaux sauvages et domestiques, et la santé des humains.
Notre interview de la journaliste engagée Marie-Monique Robin sera disponible en podcast sur les plateformes d’écoute, et son dernier livre La Fabrique des Pandémies est en cours d’adaptation en documentaire. On a hâte !
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
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