Tantôt prostituée, aviatrice, bourgeoise, espionne et écrivaine, Marthe Richard a vécu une dizaine de vies. Retracer sa biographie est une tâche ardue, car elle a été accusée de romancer ses aventures. Courageuse, elle s’introduit au sein de domaines encore réservés aux hommes. Habile, elle sert les intérêts de la Nation. Militante, elle bouscule les dogmes de la société en fermant les maisons closes de Paris et est à l’origine d’une loi qui porte son nom. Son histoire est passionnante, elle prouve que notre destin nous appartient et que tout est possible. Découvrez ses multiples identités, de Marthe Betenfeld la prostituée à Marthe Richer la bourgeoise en passant par Marthe Crampton l’espionne et Marthe Richard, la politicienne.
Marthe Betenfeld | La courtisane à l’enfance difficile
Marthe est née à Blamont, en Meurthe-et-Moselle, le 15 avril 1889. D’un milieu modeste, elle est destinée à un avenir de culottière. Bien qu’elle ait un emploi, elle fait de nombreuses fugues pour fuir cette vie. Toutefois, la police la retrouve chaque fois et l’interpelle pour racolage. Même si c’est de l’argent difficilement gagné dans une société qui a légalisé cette pratique, cela lui permet d’avoir davantage de moyens pour s’échapper de son quotidien.
Elle rencontre son premier amour, un Italien, à Blamont même. Se sentant pousser des ailes, elle saisit cette occasion pour s’acquitter de cette vie toute tracée. La réalité est moins rose et cette union va prendre une tournure plus sombre. Elle plonge dans la prostitution dès 16 ans, son prince charmant se transformant en proxénète. Enchaînant les passes, jusqu’à 50 par jour, elle tombe malade de la syphilis, couramment contractée dans ce métier. Elle est dénoncée et inscrite dans le registre sanitaire de la police qui a pour but de protéger les clients d’une contamination massive.
Dès lors, dans l’incapacité de poursuivre son activité, elle est renvoyée de son bordel. Profitant de cette occasion, elle rejoint la capitale et, une fois soignée, intègre une maison close de standing où elle rencontre son premier mari, Henri Richer, un riche industriel. À cet instant, le monde de la bourgeoisie s’ouvre à elle.
Marthe Richer | L’aventurière secrète
Elle se sent pousser des ailes
Elle se construit une vie au bras de son sauveur, moins sordide que son histoire passée. Marthe découvre un univers très éloigné de celui qu’elle a connu jusqu’à présent. Elle ne vend plus son corps, mais s’emploie à vivre ses désirs les plus forts. Son mari l’initie à l’aviation et elle se prend de passion pour le pilotage. Elle sera la 6e femme à obtenir le brevet, au manche de son aéroplane surnommé « Alouette ». Cette passion manque pourtant de lui coûter la vie. Après un grave accident, elle reste dans le coma pendant 3 semaines. Loin d’être découragée, elle souhaite intégrer l’armée de l’air tout au début de la Première Guerre mondiale. Elle participe à l’union patriotique des aviatrices dans l’espoir que sa requête aboutisse. Malheureusement, son rêve ne se réalisera pas, au même titre que ces collègues féminines.
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Patriote sous le sceau du secret
À la mort de Henri Richer, le 25 mai 1916, la voilà à la tête d’un bel héritage. Déçue par son impossibilité de concourir à l’effort de guerre, elle fréquente les aérodromes et rencontre un nouvel amant, qui va la conduire aux portes de l’espionnage.
Marthe s’affiche ainsi avec Joseph Davrichewy. Il lui permet d’intégrer le service de centralisation des renseignements sous les ordres du capitaine Ladoux. Elle part pour l’Espagne en tant qu’espionne plus ou moins officielle pendant un peu plus d’un an. Sa mission est d’obtenir des informations de la part de l’attaché naval de l’ambassade allemande à Madrid, Hans von Krohn, en devenant sa maîtresse. À cette époque, elle côtoie Mata Hari, mais sa carrière d’agent secret prend fin brutalement. Dénoncée dans la presse, Marthe Richer est contrainte de fuir l’Espagne. Les services français ne l’ayant jamais reconnue officiellement, elle sera accusée d’avoir menti.
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Marthe Crampton | L’héroïne réhabilitée ?
Véritable espionne ou pas ?
Le 15 avril 1926, elle se marie avec Thomas Crampton, directeur financier de la fondation Rockefeller. Elle ne pourra pas profiter longtemps de son union, car il meurt le 12 août 1928. Elle mène grand train grâce à une rente généreuse, et dépense sans compter dans les salons parisiens, si bien qu’elle obtient le diminutif de « veuve joyeuse ». En 1930, le capitaine Ladoux publie des mémoires dans lesquelles il remet en cause l’appartenance de Marthe au service des renseignements français. C’est à cette époque que son nom est modifié en Richard au lieu de Richer par la maison d’édition. Vexée par cet affront, elle écrit à son tour son premier livre Ma vie d’espionne au service de la France. Fort d’un succès inattendu, il est adapté au cinéma sous le titre Marthe Richard, au service de la France.
Ses faits d’armes
On découvre ses exploits : l’arrestation de plusieurs agents allemands, la divulgation du procédé des encres secrètes de l’ennemi, mais aussi le suivi des déplacements des sous-marins UB 52. Elle écume tous les cabinets ministériels pour faire valoir son héroïsme pendant la Première Guerre mondiale. Son amant d’alors, le chef du gouvernement Édouard Herriot, cède sous la pression médiatique et finit par lui octroyer la Légion d’honneur le 17 janvier 1933 avec la mention « Services signalés rendus aux intérêts français ».
La Seconde Guerre mondiale débute et Marthe apporte sa pierre à l’édifice dans celle-ci aussi. Elle intègre les forces françaises de l’intérieur. Dirigées par le général Kœnig, elles jouent un rôle essentiel en fournissant leur expertise du terrain aux alliés dans le débarquement de juin 1944. La voici officiellement grande résistante dans les deux événements les plus marquants du XXe siècle.
Marthe Richard | Une biographie exceptionnelle
Les maisons closes : un esclavagisme encore autorisé
Grâce à ses faits d’arme, Marthe Richard est nommée conseillère municipale à Paris au printemps 1945, dans le 4e arrondissement sous la liste « La Résistance unifiée ». Une carrière de politicienne commence, avec à la clé encore, une avancée majeure qui va bouleverser la société et surtout le destin de milliers de femmes.
En effet, les maisons closes, à l’époque, sont des lieux de plaisir pour toutes les couches de la population. Le One Two Two et le Chabanais sont appréciés des stars, tandis que la maison Tellier attire les ecclésiastiques et les notables de la ville. Le moulin Galant ou Le panier Fleuri, dans lesquels s’enchaînent les passes, au rythme de 70 par jour, sont plus populaires. Ces maisons de tolérance sont évoquées partout dans le domaine de l’Art, des peintures de Van Gogh à Toulouse Lautrec, dans les récits de Zola à Goncourt, sans oublier dans la musique, avec Édith Piaf. On en dénombre alors environ 1 500 sur tout le territoire.
Les bordels dans le collimateur de Mme Richard
Marthe Richard entreprend le combat de sa vie en essayant de fermer les maisons closes de Paris. Il faut savoir qu’elles ont mauvaise presse. Elles sont très proches du dernier régime de Vichy et les tenanciers travaillent régulièrement avec la Gestapo. Les femmes, appelées colis, sont vendues comme de la marchandise par des courtiers à d’autres établissements. Elles sont enfermées dans un système d’endettement permanent où les gérants les empêchent de quitter leur geôle. Derrière ce système, les forces de l’ordre se servent des tauliers, propriétaires des établissements, comme d’indics pour soutirer des informations sur les trafics.
Marthe Richard subit des pressions, avec notamment la révélation de son passé au grand public. Certains ont intérêt à ce qu’elle ne parvienne pas à ses fins. Ils divulguent alors son inscription au registre sanitaire des prostituées de la Police pour la discréditer. En effet, elle n’aura pas réussi à faire disparaître son identité de ce fichier compromettant.
Cela ne l’empêchera pas de mettre le pied dans cette organisation tentaculaire qui implique de nombreuses corporations et institutions.
La loi du 13 avril 1946 dite Loi Marthe Richard
Le 13 décembre 1945, elle dépose son projet pour la fermeture des maisons closes devant le Conseil municipal de Paris. Le préfet de police, Charles Luizet, laisse 3 mois aux professionnels pour clôturer définitivement leurs activités à partir du 20 décembre 1945.
Encouragée par son succès, Marthe Richard mène son combat encore plus loin en défendant l’idée d’une loi. Et c’est le député Pierre Dominjon qui la fera voter le 13 avril 1946. Ce dernier combat vaudra à Marthe Richard le surnom de « Veuve qui clôt », en référence à la marque de Champagne Veuve Clicquot. Elle meurt le 9 février 1982, inhumée au Columbarium du Père-Lachaise.
Souvent décriée pour ses affabulations, Marthe Richard aura influencé de manière indélébile l’histoire française. Son dévouement pendant les deux guerres et sa fougue démontrent qu’une femme peut s’émanciper et casser les codes. Son abnégation paye, dans un système à l’inégalité latente dirigé par des hommes. On notera qu’en 1973, elle militera pour la réouverture des maisons closes. En effet, la prostitution n’aura pas disparu avec la fermeture des bordels. Elle se pratique alors dans la rue, dans des conditions plus difficiles qu’auparavant. Cela fait de Marthe Richard une personnalité franche et raisonnée qui sait s’adapter à son environnement. Sous de multiples identités, on retiendra de Marthe Richard, la combattante, l’essence d’une femme libre.
Découvrez un autre destin féminin incroyable, qui a marqué l’histoire de la conquête spatiale, celui de Margaret Hamilton.
Geoffrey GROS, pour Celles qui Osent
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