L’œuvre littéraire de Maryse Condé c’est, selon la Nouvelle Académie de Stockholm, qui lui décernait le Prix Nobel alternatif de littérature en 2018, « dans un langage précis (…) les ravages du colonialisme et le chaos du post-colonialisme ». Professeure à l’université de Columbia, écrivaine voyageuse de Paris aux Etats-Unis, des Antilles à l’Afrique, Maryse Condé s’est battue jusqu’à sa mort, le 1er avril dernier, pour l’indépendance de la Guadeloupe, son pays.
Une « enfance purement française » pour un destin guadeloupéen
Maryse Liliane Appoline Boucolon naît en 1934 dans une famille de huit enfants dont elle est la benjamine, à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe au sein « d’un embryon de bourgeoisie noire » au sein duquel elle vit une « enfance purement française ». Dans « Le cœur à rire et à pleurer », autobiographie dédiée à son enfance, Maryse Condé écrit avoir grandi au milieu des livres que son père, banquier, achetait à la librairie française. Sa mère est l’une des premières institutrices noires des Antilles. La jeune Maryse se rend, avec sa famille, tous les cinq ans en métropole et part étudier à 19 ans au lycée parisien Fénelon où elle subit du racisme et réalise son ignorance de la culture antillaise, elle qui baigne dans la culture française depuis son enfance.
À Paris, elle rencontre la famille Bruhat, dont le père est historien marxiste à la Sorbonne.
« Le père et la fille m’ont appris le sens du mot colonialisme, colonisation, identité, origine, dépossession »
confie-t-elle lors d’une série d’entretiens. Elle devient alors une lectrice assidue des livres publiés par la maison d’édition Présence africaine, qui diffuse les auteurs de la négritude, et s’inscrit à la Sorbonne, où elle entame une licence d’anglais. Elle tombe amoureuse d’un étudiant haïtien dont elle tombe enceinte, mais ce dernier quitte la France pour Haïti et la laisse seule avec son fils. Trois ans plus tard, la jeune femme épouse Mamadou Condé, acteur guinéen jouant dans « Les Nègres » de Jean Genet.
Les rêves de négritude de Maryse Condé
A 22 ans, Maryse Condé s’envole pour la Côte d’Ivoire et part enseigner comme professeure au lycée français de Bingerville, avant de rejoindre son mari pour la Guinée en 1961 où elle assiste à la répression du mouvement étudiant par le gouvernement de Sékou Touré. Elle y découvre également Franz Fanon, penseur du colonialisme, qui meurt à son arrivée dans le pays, et en hommage duquel quatre jours de deuil national sont décrétés. Après trois ans passés en Guinée, Maryse Condé part seule pour le Ghana où elle écrit son premier roman ; on la soupçonne d’être une espionne guinéenne… Elle quitte donc le pays pour Londres et travaille pour la BBC Afrique, avant de venir enseigner au Sénégal où elle rencontre son deuxième époux, un professeur de littérature britannique, qui deviendra son traducteur.
Lassée de la vie en Afrique, ses rêves de négritude déçus, Maryse Condé décide de revenir en France pour achever ses études, ce qu’elle fait avec la rédaction de sa thèse en 1976 sur la représentation stéréotypée des personnes noires dans la littérature antillaise. Elle publie par la même occasion son premier roman Heremakhonon sur la Guinée de Sékou Touré, à l’âge de 42 ans. Elle travaille alors pour la maison d’édition Présence africaine, fondée par l’intellectuel sénégalais Alioune Diop et collabore à certains médias, dont « Demain l’Afrique », pour qui elle se rend aux Etats-Unis et écrit des reportages sur les femmes afro-américaines.
Le retour aux racines et à la lutte guadeloupéennes
Au début des années 1980, Maryse Condé achète une maison en Guadeloupe, continue à écrire et enseigne la littérature aux Etats-Unis. Ce retour au pays natal est l’occasion pour elle de se questionner sur son identité et son rôle d’écrivaine dans la lutte indépendantiste. Elle collabore également à des journaux indépendants guadeloupéens. Depuis la parution de son premier roman, Maryse Condé n’a cessé d’écrire : pièces de théâtre, autobiographies, essais… Elle s’impose toutefois véritablement en tant que romancière en 1986 avec Moi, Tituba sorcière noire de Salem qui raconte l »histoire de Tituba, esclave noire du pasteur Samuel Harris, accusée d’être l’une des sorcières de Salem. Le livre reçoit le grand prix littéraire de la Femme en 1987. Le racisme et le patriarcat sont des thèmes clés du roman, qui ne cesseront d’alimenter son oeuvre par la suite.
En 1993, Maryse Condé obtient le prix américain Puterbaugh pour l’ensemble de son oeuvre. C’est la première fois qu’une femme en est récompensée. En 1997, elle créé le centre des études françaises et francophones à l’unviersité de Columbia où elle enseigne jusqu’à sa retraite en 2002.
Maryse Condé est morte en France à l’âge de 90 ans. Elle laisse derrière elle une oeuvre prolixe mêlant féminisme et discours sur le colonialisme. Elle se sera battue toute sa vie durant pour la Guadeloupe, île à laquelle elle a dédié son prix Nobel alternatif reçu en 2018.
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