La ménopause, comme tout ce qui a attrait à la vie intime des femmes, constitue un important tabou. Elle est même, à certains égards, encore plus « mal vue » que les règles, qui elles aussi doivent rester cachées et secrètes. La raison de cette hiérarchisation des étapes du cycle de vie féminin est simple : là où les règles peuvent être valorisées car elles signifient que la jeune fille est en âge de procréer, donc d’accomplir le rôle de mère auquel la société la destine, la ménopause marque au contraire la fin de cette capacité reproductrice. Ainsi, les femmes de plus de 45/50 ans deviennent invisibles au yeux de la société, et exclues du marché de la séduction. Celles qui Osent a donc décidé de s’attaquer au tabou de la ménopause et d’en parler librement afin d’en donner une vision différente et libératrice. Bonne lecture !
Le paradoxe de la ménopause
La ménopause fait partie de notre fameuse « horloge biologique », un concept patriarcal selon lequel les femmes devraient tomber enceinte à un instant précis afin de répondre aux besoins de leur corps et à l’impératif du temps qui passe. De nos jours, cette notion d’horloge biologique perd de plus en plus son sens premier car avec la généralisation de la contraception et l’augmentation du nombre de femmes totalement dédiées à leur carrière, faire des enfants est devenu une question d’envie plutôt que de contrainte temporelle (voir cet excellent article de Slate sur la pression subie par les femmes qui tombent enceinte après 35 ans).
La ménopause marquerait la fin du tic-tac de l’horloge biologique comme si, une fois ménopausées, le corps des femmes devenait silencieux, usé, inactif. Or c’est tout le contraire. Les périodes de périménopause, durant lesquelles les ovaires sécrètent des ovules de manière irrégulière sont accompagnées de symptômes tels qu’une modification du cycle menstruel, des bouffées de chaleur, des pertes de cheveux… Bref, notre corps change et nous le fait savoir.
La ménopause est également l’incarnation des injonctions contradictoires auxquelles doit faire face une femme durant sa vie. La femme cinquantenaire est transparente et ne trouve plus sa place dans le monde, mais bénéficie en même temps d’une liberté retrouvée : plus d’enfants à charge, plus de cycle menstruel… Beaucoup de femmes comme Sophie Fontanel ou Caroline Ida (que nous avons interviewée) ont arrêtées de se teindre les cheveux et revendiquent leur appartenance à la génération silver. Cela s’inscrit dans une démarche d’acceptation de soi et de rébellion contre les diktats sociétaux, qui imposent aux femmes de ne pas montrer qu’elles vieillissent.
Un rapport particulier au corps féminin
Selon Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe de l’intime : « Notre existence est incarnée dans notre corporéité. Les femmes ont cette caractéristique d’exister aux yeux du monde en tant que corps. » L’existence de la femme dans la société est constamment ramenée à son corps et à son apparence. Les femmes occupent l’espace non pas en tant que sujets agissants au même titre que les hommes, mais en tant que corps féminins. L’une des manifestations caractéristiques de ce phénomène est l’harcèlement de rue : dans la ville, les femmes ne sont pas vues comme des citadines disposant de l’espace public au même titre que les hommes, mais comme des corps appropriables par les hommes.
La ménopause fait également partie de cette corporéité féminine. Elle s’inscrit dans un mécanisme purement corporel que l’on associe au vieillissement. Cette expérience du corps féminin est à l’origine d’un rapport au temps différent selon si l’on est un homme ou une femme. Dans Une Ethnologie de Soi, le temps sans âge, le sociologue Marc Augé, âgé de 80 ans au moment de la rédaction de son livre, réalise qu’il est vieux quand plusieurs de ses amis meurent de vieillesse. Pour les femmes, l’expérience de la vieillesse est vécue à travers les bouleversements corporels : premières règles, premier rapport sexuel, première maternité, ménopause…
Le corps féminin n’est au coeur des revendications féministes que depuis quelques années. La quatrième vague féministe, que Camille Froidevaux-Metterie appelle « la bataille de l’intime », commence au début des années 2010. Le féminisme s’intéresse à l’intime et à ce qu’il se passe dans le corps des femmes : le clitoris devient un symbole de libération sexuelle, la précarité menstruelle devient un enjeu de société, les seins perdent leur caractère sexuel. Pourtant, il semblerait que la ménopause ait été oubliée par les féministes, comme si elle n’était pas digne d’intérêt. Dans la série Fleabag, l’actrice Phoebe Waller-Bridge rencontre une femme plus âgée et ménopausée. S’ensuit un dialogue sur la ménopause et ses avantages : « We have pain on a cycle for years and years and years and just when you feel you are making peace with it all, what happens? The menopause comes, and it is the most wonderful fucking thing in the world. » (« Nous souffrons de manière cyclique pendant des années et des années et des années et juste quand tu commences à faire la paix avec tout cela que se passe-t-il ? La ménopause arrive, et c’est la chose la plus formidable au monde. »)
La ménopause dans la fiction
Une question légitime que l’on pourrait se poser est : « Où sont les femmes de plus de 50 ans dans la fiction ? ». En littérature et au cinéma, les personnages principaux féminins sont jeunes (moins de 30 ans), ou bien très vieux. Il est rare de trouver des femmes de 50 ans ayant un rôle important. Dans la fiction littéraire, les vieilles femmes sont en général des sorcières ou bien des grands-mères. Pas de place pour les cinquantenaires.
Ce manque de représentation des femmes de plus de 50 ans dans la fiction a été très remarqué par Simone de Beauvoir qui en parle longuement dans ses écrits personnels. À l’âge de 44 ans, elle écrit La Force des Choses et parle du passage de la ménopause comme d’une « ligne d’ombre ». Elle y raconte son histoire d’amour avec Claude Lanzmann, réalisateur et écrivain, alors âgé de 27 ans, seul homme avec qui elle cohabita et qui la quitta pour une femme plus jeune.
Dans Aurore, un film réalisé par Blandine Lenoir, l’actrice Agnès Jaoui incarne une femme de 50 ans qui vient de perdre son emploi et apprend qu’elle va être grand-mère. Elle retrouve son amour de lycée et refuse de se plier aux injonctions de la société qui tendent à l’invisibiliser et à la vieillir. Notre réplique préférée du film : « Les mecs ils greffent des coeurs, des mains, des poumons, et ils sont mêmes pas foutus d’inventer quelque chose contre les bouffées de chaleur, ça me rend dingue ! »
Pour finir, la ménopause n’est un phénomène que l’on retrouve que chez les humains et les cétacés. Dans la plupart des espèces, les femelles continuent de se reproduire jusqu’à leur mort. Dans l’épisode 2 du podcast Ménopause pour tout le monde, Carla Aimé Jubin, biologiste, explique que quand vient le moment de la ménopause pour les orques femelles, celles-ci deviennent les cheffes de leur troupeau… Alors qui a dit que la ménopause ne pouvait pas être synonyme d’émancipation ?
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
5 Comments
Merci pour cet article.
Je me permets d’ajouter que la ménopause est une construction sociale récente (1821 : 200 ans sur 300 000 ans, c’est jeunot) qui s’est installée parallèlement au développement de la médecine moderne.
Remarquez que la ménopause n’existe quasiment que sous un registre médical : c’est méga-rentable de développer un marché pharmacologique autour d’une pathologie, serait-elle la vieillesse.
Car la médecine occidentale s’intéresse à la maladie plutôt qu’à la santé, aux symptômes (= un traitement médical) plutôt qu’aux causes multifactorielles (terrain, environnement) et (beaucoup) à l’argent.
Bon, je ne suis pas gentille avec l’establishment médical. Mais j’ai le droit, car je me drape de ménopause.
Cela nous donne une bonne idée d’article sur le sujet ! Merci Marie !
[…] vous détenez désormais la clé de votre propre réponse. Oserez-vous être vous-même et vous libérer de la « ménopocalyspe » […]
[…] alors qu’une femme qui se fait ligaturer les trompes ne ferait qu’avancer la date de sa ménopause. Ça reste dans tous les cas une affaire très […]
[…] la saison 2, dans laquelle Fleabag tombe sur une quinquagénaire qui lui explique le bonheur de la ménopause, et de la cinquantaine passée, une fois qu’on n’a plus ni maris, ni enfants à charge. […]