Et si la fidélité dans un couple n’était qu’une vaste légende ? S’agirait-il d’une construction culturelle contraire à notre nature biologique ? À une époque où les divorces explosent et les relations d’un nouveau genre se multiplient (trouples, relations polyamoureuses, mariages libres…) il serait alors intéressant de se demander : la monogamie est-elle naturelle chez l’Homme ? Sommes-nous vraiment faits pour rester avec un seul partenaire toute notre vie ? Si aujourd’hui l’exclusivité romantique est considérée comme le modèle idéal dans la grande majorité des sociétés humaines, il n’en a pas toujours été ainsi. Monogamie ou polygamie : dans les faits, l’Homo Sapiens semble avoir du mal à choisir. Alors, laquelle de ces deux tendances est la plus naturelle ?
Polygamie et monogamie à travers l’histoire et les populations
Depuis quand l’Homme loue-t-il un tel culte à la monogamie ? Aujourd’hui, un mariage qui dure est un véritable modèle de réussite au même titre qu’un job stable ou une voiture dernière génération. D’ailleurs, en France la polygamie est interdite par la loi. Mais où se situent donc les sources du modèle monogame ?
La monogamie dans l’histoire
Si l’on remonte dans la préhistoire, il semblerait que l’Homme pratiquait déjà la monogamie il y a 4,4 millions d’années. Owen Lovejoy, de l’université d’État du Kent a étudié des fossiles d’Ardipithecus ramidus qui témoignent d’un mode de relations plus monogame que polygame entre les partenaires. En effet, ce système de fonctionnement faciliterait la cohésion et la stabilité au sein d’un groupe. Les grandes populations occidentales de l’Antiquité ont elles aussi fait de la monogamie un exemple à suivre. Les Grecs comme les Romains, plaçaient le mariage entre deux personnes de sexe opposé comme un idéal et même un acte citoyen louable. La famille nucléaire semble donc être le socle d’une société prospère depuis de nombreux millénaires. Dans l’histoire humaine, la monogamie apparaît alors comme un moyen politique d’assurer le bon fonctionnement d’une nation. Mais mariage monogame ne rimait pas avec fidélité pour autant ! En réalité, les hommes pouvaient librement multiplier les aventures (avec les prostituées ou leurs esclaves). L’adultère chez la femme était en revanche très fortement sanctionné. Eh oui, puisqu’il s’agit d’une société patriarcale avec la figure masculine au centre du pouvoir, la fidélité des épouses et leur virginité avant le mariage sont un moyen certain pour les maris d’assurer leur descendance génétique.
L’arrivée du christianisme finit de cristalliser l’idéal monogame et introduit la fidélité dans les mœurs avec pour figure sacrée du couple Adam et Ève. Mais si à travers l’histoire, la monogamie est une institution bien ancrée et réaffirmée au sein de plusieurs sociétés distinctes, elle ne semble pas être appliquée comme telle. L’homme s’est toujours autorisé à avoir plusieurs conquêtes à la fois. Il est facile de citer l’exemple des rois carolingiens qui pouvaient alors se marier à plusieurs reprises sans même divorcer. Il leur suffisait pour cela de déclarer leur épouse comme concubine pour pouvoir s’unir à une nouvelle femme.
Le système polygame
Pourtant, il existe également des sociétés humaines qui se sont organisées autour d’un modèle où l’homme pouvait avoir plusieurs partenaires (dans ce cas, on parle plutôt de polygynie). C’est le cas des tribus vivant dans la péninsule arabique au sein desquelles a émergé l’islam. C’est pourquoi, ce modèle est aujourd’hui ancré dans la foi musulmane qui autorise un homme à épouser plusieurs femmes. Quelles sont les autres sociétés qui reposent sur un modèle polygame ? Dans certaines tribus comme les Ache, originaires du Paraguay, ou bien encore les Baris originaires d’Afrique centrale, les femmes peuvent avoir plusieurs partenaires. Cela ne pose pas de problème pour la descendance puisque les hommes des tribus s’occupent de manière égale de tous les enfants sans savoir qui sont leurs fils ou filles biologiques. Pourtant, il ne s’agit ici que de cas très isolés et aujourd’hui la grande majorité des sociétés mondiales imposent la monogamie au sein de leurs territoires tandis que dans les pays qui autorisent la polygynie, 80 % de la population est pourtant engagée dans un mariage monogame.
Alors, si l’humain semble accorder une telle importance à la monogamie, pourquoi est-elle finalement si peu appliquée dans les faits ? Comment expliquer l’infidélité, la multiplication des divorces et l’émergence de relations d’un nouveau genre ?
Monogamie ou polygamie : ce qu’en dit la science
Pour comprendre si l’Homme est polygame ou monogame par nature, de nombreux chercheurs ont tenté de trouver des réponses en s’appuyant sur des sources variées.
Les études divergent et se contredisent
Si on observe la nature, on constate sans mal que la polygamie est pratiquée par la plupart des espèces du vivant. On suppose que ce régime permet une plus grande diversité génétique. Il existe toutefois des animaux monogames qui le sont la grande majorité du temps pour des besoins de protection de leur espèce. Ainsi, près de 95 % des oiseaux restent fidèles à leur partenaire. Ce type de fonctionnement permet au mâle de couver les œufs lorsque la femelle s’absente du nid. Mais qu’en est-il de l’espèce Homo Sapiens ? David P. Barash, professeur de psychologie à l’Université de Washington, affirme dans son article du Los Angeles Times, que la monogamie est une solution pour assurer une meilleure protection du petit de l’Homme qui reste vulnérable longtemps après sa naissance. Le géniteur reconnaissant alors son enfant, y serait ainsi plus attaché et plus enclin à s’en occuper. Pourtant, plus loin dans l’article, le professeur avance que l’exclusivité sexuelle est contraire à notre biologie. Pour lui, il ne s’agirait que d’une construction culturelle confirmant que la monogamie n’est pas naturelle et que la fidélité n’est pas le propre de l’Homme.
À la question : la monogamie sexuelle est-elle naturelle ? Christopher Ryan, auteur du très populaire et vivement critiqué Sex at Dawn, semble fournir une réponse bien tranchée. En s’appuyant sur la primatologie, il fait un lien direct entre les comportements des primates et les humains. Les singes comme les chimpanzés ou les bonobos (avec qui nous partagerions 98,7 % de notre ADN) pratiquent un mode de vie polygame. Pour Christopher Ryan, l’Homme serait donc naturellement destiné au même mode de vie. Mais peut-on réellement s’appuyer sur les animaux pour justifier les comportements humains ? Qu’en est-il de l’amour et de l’attachement ? Nos cerveaux étant plus développés, on peut librement affirmer que l’Homme moderne n’est plus uniquement guidé par ses instincts primitifs.
En revanche, si l’on souhaite justifier la fidélité et la monogamie par des causes physiologiques, cela est tout à fait possible. Effectivement, l’ocytocine, que l’on appelle également l’hormone de l’amour, semble pouvoir nous aider à répondre à la question : peut-on aimer plusieurs personnes à la fois ? Car lorsqu’elle est massivement sécrétée, l’ocytocine favorise l’attachement à un seul être et réduit la disponibilité pour d’autres partenaires.
Un sujet complexe
La question de la polygamie ou de la monogamie chez l’être humain ne semble donc pas posséder de réponse concrète. Les études se basant sur des observations biologiques, psychologiques ou ethnographiques soulèvent de nombreux débats et n’amènent pas de conclusion nette et convaincante. En s’appuyant sur le comportement des hommes et des femmes modernes, on peut constater que les deux profils, polygames et monogames, semblent coexister. C’est d’ailleurs ce qu’a révélé une étude publiée dans Livescience.
Mais si certains affirment aujourd’hui que la monogamie n’est qu’une construction sociale, d’autres défendent corps et âme le besoin biologique de se lier à un seul être. Le débat semble donc infini et on ne peut définir avec exactitude lequel des deux partis a raison. Ce qui paraît toutefois évident, c’est que nos rapports les uns aux autres et notre vision du couple évoluent au même titre que nos modes de vie et la valeur qu’on accorde à l’exclusivité romantique et sexuelle. Chercher à démontrer qui de la monogamie ou de la polygamie est la plus naturelle pour l’Homme semble donc relever d’une prise de position personnelle et repose majoritairement sur des suppositions et des théories non confirmées.
L’Homme, ce monogame en série
Certaines personnes préfèrent ne pas suivre la voie imposée par la société. Ainsi, elles pratiquent librement le polyamour en partageant leur cœur ou leur lit avec plusieurs partenaires. Loin d’être une simple mode, cette manière d’aimer semble remettre en doute l’idée même que la monogamie est innée chez l’Homme. Mais cette tendance démontre surtout que nous ne sommes pas tous égaux face à l’amour et à notre rapport aux autres. En matière de romantisme, l’homme et la femme ne peuvent être disséqués et rangés dans des cases. Au cours d’une vie, nous ne cesserons peut-être d’osciller entre différents états et désirs d’expérimentation. Si certains vont connaître l’amour exclusif et s’en contenter, d’autres vont trouver leur bonheur dans un partage de sentiments entre plusieurs partenaires. D’autres encore vont enchaîner les conquêtes et les ruptures et connaître des phases de monogamie successive. C’est d’ailleurs à cela que ressemble la vie amoureuse de la grande majorité des humains. Mais alors peut-on vraiment parler de monogamie ?
Peu de personnes connaissent un seul partenaire au cours de leur vie. Si le couple est considéré comme la norme dans notre société, les aventures courtes, les séparations et les divorces sont pourtant devenus une réalité parfaitement banalisée. Si bien, que lorsqu’on évoque l’exclusivité et la fidélité entre deux personnes, on ne parle jamais vraiment de monogamie sur l’échelle d’une vie. L’être humain semble détenir dans sa nature le besoin d’explorer et de se lier à plusieurs partenaires au cours de son existence. Les premières amours qui durent jusqu’à la mort sont des cas exceptionnellement rares qui semblent confirmer la règle : l’Homme ne peut se contenter d’une seule âme sœur pour la vie. Dans un monde en constante évolution, où nos aspirations, nos rêves et nos choix ne cessent de muer, le couple peut apparaître comme une bouée de sauvetage sur laquelle se reposer en cas de tempête. Mais est-il toujours possible de nager dans la même direction lorsque nous n’évoluons pas au même rythme que notre partenaire ? Lorsque la passion quitte les cœurs et que la cohabitation semble compromise par un désaccord grandissant, la rupture semble inévitable.
Et si en fin de compte, en matière d’amour, il n’existait pas de normes et d’obligations ?
En voyant les choses sous cette perspective, nous pourrions alors percevoir la vie non pas comme une éternelle quête du partenaire idéal mais plutôt comme une aventure qui présente sur notre chemin des rencontres enrichissantes. La finalité de la vie humaine ne serait donc pas de se mettre en couple pour y rester à tout jamais. Nous pourrions alors simplement nous contenter de vivre notre expérience sur Terre en s’alliant à d’autres humains pour faire un bout de chemin ensemble tant que les deux partis (ou plus) y trouvent leur compte.
Stefania Zarovski, pour Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
2 Comments
[…] Pour le sociologue Thierry Hoquet, l’humain a peur d’innover en matière de genre car il a peur du chaos. Pour trouver un cadre aux sociétés assurant l’harmonie, il pense que nous avons cherché à imiter le monde animal. Notre ordre social propose donc une répartition de caractéristiques entre les sexes, à l’image du comportement du mâle et femelle dans la nature. Or nous remarquons que nous ne copions la nature que dans ce cas. Ne serait-ce que pour la sexualité, nous ne le faisons pas par cette même peur du chaos, car le modèle naturel est polygame. […]
[…] le stéréotype du mariage monogame, qu’elle considère comme une invention sociale, Virginia Woolf reste mariée, tout en ayant des relations sentimentales avec des femmes. En 1922, […]