200 millions de femmes dans le monde ont subi à ce jour une forme de mutilation génitale féminine (MGF) : clitoridectomie, excision, infibulation… Si ces rites barbares sont les plus répandus sur le continent africain, on les retrouve aussi dans d’autres régions du monde, dont les pays européens d’immigration. Le BEH, revue éditée par Santé publique France, estime à environ 125 000 le nombre de femmes excisées en France au début des années 2010. Dans notre société occidentale hypersexualisée, le sujet tabou des mutilations sexuelles féminines reste méconnu. Pourtant, l’excision est un acte criminel et passible, en France ,de dix ans de prison. Celles qui Osent a interviewé Fatoumata, jeune femme curieuse et combattive animée par un engagement en faveur de la dignité humaine. Elle a osé créer le projet Ubuntu, une association et une exposition pédagogique sensibilisant à la problématique de l’excision. Retour avec elle sur une coutume arriérée et sauvage à l’égard des femmes.
L’ablation du clitoris : des conséquences désastreuses pour les femmes
Cette tradition archaïque remonterait à l’époque des pharaons, il y a près de 3 000 ans, avant le Christianisme et l’Islam. En Égypte antique, il s’agissait d’un rituel de fertilité. Les parties excisées des femmes étaient « offertes » au Nil sacré. L’excision, aussi appelée mutilation génitale féminine (MGF) consiste en l’ablation partielle ou totale des organes sexuels externes de la femme. Elle est encore pratiquée dans de nombreux pays (Côte d’Ivoire, Djibouti, Égypte, Éthiopie, Guinée, Indonésie, Kenya, Mali, Nigéria, Sénégal, Soudan du Nord). Elle l’est aussi en Europe de l’Ouest ou aux États-Unis, où elle a été pratiquée jusque dans les années 50 pour traiter des « maladies » telles que l’hystérie, l’épilepsie, les troubles mentaux, la masturbation, la nymphomanie, la mélancolie ou encore l’homosexualité. Aujourd’hui, l’excision est davantage liée aux mouvements migratoires.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) distingue 4 types de mutilations sexuelles féminines :
- La clitoridectomie : ablation partielle ou totale du clitoris ;
- L’excision : ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans ablation des grandes lèvres ;
- L’infibulation : rétrécissement de l’orifice vaginal par ablation et accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres, avec ou sans ablation du clitoris.
- Les formes non classées de MSF : toutes les autres interventions nocives ou potentiellement nocives pratiquées sur les organes sexuels féminins à des fins non thérapeutiques.
Les conséquences pour les filles et les femmes victimes d’excision sont désastreuses. Elles doivent endurer des douleurs extrêmes, car ces parties du corps sont très innervées. La cicatrisation est longue et le suivi de soins demeure précaire. De la coupure des tissus sensibles des organes génitaux découle des saignements immédiats, jusqu’à des hémorragies parfois mortelles.
De plus, les filles et les femmes ayant été infibulées sont exposées à des problèmes urinaires et menstruels à cause de la fermeture presque totale du vagin et de l’urètre.
Les saignements, fréquents au cours des rapports sexuels, accroissent aussi le risque de transmission du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Une femme excisée est plus exposée aux complications obstétricales et les taux de décès périnatal chez les nouveau-nés sont plus élevés pour les enfants des femmes ayant subi une mutilation sexuelle.
L’excision : un acte souvent perpétré par des femmes
Ces opérations sont paradoxalement effectuées par des femmes, le plus souvent âgées. Elles perpétuent la transmission de ce « savoir empirique » transmis par leur mère. Souvent, elles bénéficient d’un statut particulier dans leur communauté.
Dans la majorité des cas, les filles sont excisées avant l’âge de 15 ans. Ces actes sont effectués « à la chaîne », le plus souvent avec des instruments non stérilisés, sans anesthésie. La douleur ressentie est extrême. Il n’est pas rare que des jeunes filles meurent, par hémorragie, voire par la violence du choc ressenti. Les conditions sanitaires précaires favorisent les infections vulvaires, urinaires ou gynécologiques, pouvant aller jusqu’à provoquer la stérilité.
En Égypte, les mutilations sexuelles féminines sont de plus en plus pratiquées par des professionnels de santé, mais l’OMS souligne que cela ne rend pas pour autant cette pratique légale.
Toutes ces mutilations entraînent des conséquences traumatisantes sur la sexualité. Une crainte des rapports sexuels, et des états de stress post-traumatique comme l’anxiété ou la dépression font partie des troubles psychologiques résultant des MSF.
Des mutilations sexuelles et génitales pour contrôler le corps des femmes
Dans les sociétés où elles sont pratiquées, les mutilations sexuelles démontrent l’inégalité entre les sexes et le contrôle exercé par la société sur les femmes. Elles suppriment toute possibilité de jouissance au cours des relations sexuelles. Une femme excisée laisse passivement l’homme prendre son plaisir, pendant que celle-ci n’en éprouve aucun. Cette barbarie maintient la domination masculine en empêchant d’hypothétiques relations sexuelles prénuptiales ou relations adultérines (pour préserver l’honneur du mari et de la famille).
Aucun texte religieux ne prescrit pourtant la pratique, qui se retrouve aussi bien chez les populations musulmanes ou chrétiennes. Certains chefs de village entretiennent le mythe que l’excision favoriserait l’hygiène, la fécondité et l’attirance des femmes. D’autres s’obstinent à vouloir perpétuer une tradition et protéger une identité culturelle. En Afrique de l’Ouest par exemple, certaines femmes non mutilées ne trouvent pas de mari.
Échapper à l’excision, lutter contre l’injustice : l’ambition de Fatoumata Gassama
Fatoumata Gassama, jeune Française de 23 ans, est originaire de Guinée et du Mali. Actuellement étudiante en école de commerce et de management, elle aspire à travailler dans le numérique et plus précisément la sécurité des données digitales. La défense des droits de l’homme, des femmes plus particulièrement, l’animent depuis toujours. Un sujet la révolte et la concerne, indirectement : l’excision. Dans son entourage, elle se pratique, mais demeure taboue.
Les cousines de Fatoumata ont été excisées. La jeune adolescente commence alors à s’interroger.
« Ma mère ne m’a jamais parlé de l’excision. Dans la famille, on n’aborde pas le sujet du sexe et encore moins de cette pratique. »
Un jour, Fatoumata découvre le livre Fleur du désert, de Waris Dirie et Cathleen Miller, qui raconte l’incroyable destinée d’une jeune femme excisée. À seulement 13 ans, pour échapper à un mariage forcé, Waris part dangereusement en cavale dans le désert somalien, puis s’installe à Londres où elle est remarquée par un photographe de mode ; ainsi, démarre sa fulgurante carrière de mannequin.
Ensuite, Fatoumata lit Mutilée, de la Sénégalaise Khady Koita. Son témoignage dénonce le mariage forcé et la pratique de l’excision. L’auteure narre cet acte barbare qu’elle a subi à l’âge de 7 ans. La mutilation génitale est décrite comme une torture et une privation définitive de plaisir.
Ces livres jouent le rôle de détonateur pour Fatoumata : elle veut sensibiliser et informer sur cette réalité terrifiante.
« Il n’y a aucune raison d’exciser une femme. Aucune science ne démontre son utilité. Le but est de toucher au désir féminin et plus largement à la dignité humaine. Beaucoup de femmes ne se sentent plus complètes et les conséquences morales sont énormes. L’excision, ce n’est pas juste couper un organe, c’est contrôler une personne. »
Le projet Ubuntu : une exposition pour libérer la parole sur les mutilations sexuelles féminines
À peine majeure, Fatoumata s’insurge contre l’injustice.
« Je ne trouvais pas cela normal que moi je puisse conserver mon corps intact et d’autres femmes non. »
À 19 ans, elle ose agir en créant le projet Ubuntu. En effet, en 2018, elle effectue un service civique dans une structure jeunesse pour les 16-25 ans. Elle a alors l’opportunité de concevoir une exposition de sensibilisation sur la question des mutilations sexuelles. « À ma grande surprise, les jeunes, culturellement français, étaient très intéressés. » Elle obtient ensuite une bourse de la ville de Nantes qui l’aide à réaliser des affiches, en collaboration avec un graphiste et un illustrateur. Nombre de structures la contactent ; Fatoumata décide d’étendre sa visibilité sur les réseaux sociaux et sur Internet.
Son projet Ubuntu a pour objectif de sensibiliser à la pratique de l’excision et aux droits et la liberté des femmes de disposer de leur corps sans souffrance ni contraintes. Le mot Ubuntu, issu de langues bantoues du sud de l’Afrique, illustre les valeurs d’humanité et de sororité, car il est lié au proverbe « Umuntu ngumuntu ngabantu » signifiant « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous ».
Avec son exposition Excision, femmes mutilées, Fatoumata libère la parole sur cette pratique barbare encore infligée aux femmes au 21e siècle !
Elle est constituée de 4 panneaux illustrés :
- Excision, femmes mutilées : pour définir l’excision et en connaître les raisons de cette pratique.
- Briser les tabous : à l’aide de schémas de sexes féminins, ce panneau permet de mieux comprendre les conséquences des mutilations génitales.
- Entendre la souffrance : ce visuel offre une série de témoignages, le plus souvent anonymes, de celles qui ont été victimes de mutilations sexuelles.
- Comprendre pour agir : ce dernier support situe l’excision dans un cadre juridique et offre les ressources nécessaires pour le dénoncer ou se faire aider.
Elle a recueilli des témoignages extrêmement puissants de femmes ayant subi des violences.
« C’était il y a 16 ans en arrière, en 2002, je n’avais que 9 ans lorsqu’on m’a arraché une partie de mon corps (…). J’essaye de me débattre, mais impossible, je n’ai pas assez de force puis quiiiiick elle passe la lame, je crie de toutes mes forces et finis par m’évanouir de douleur. Je me réveille quelques heures après et je me trouve dans une pièce avec plein de petites filles comme moi allongée par terre avec plein de sang qui coulait, toutes en train de pleurer. Malgré le fait qu’on en avait plus la force, les larmes étaient là. » Témoignage anonyme
En termes de reconstruction, la chirurgie a fait de nets progrès. Fatoumata a pu rencontrer Pierre Foldès, chirurgien urologue français, célèbre pour avoir créé, en 1984, avec Jean-Antoine Robein, une méthode chirurgicale permettant de réparer les dommages causés par la clitoridectomie. L’opération dure une vingtaine de minutes. Pierre Foldes a rendu « réparable » ce qui était considéré comme irréversible. La chirurgie n’apaise pas tous les traumatismes, mais c’est une avancée majeure. De façon inattendue, le plaisir sexuel n’est pas l’élément moteur de la démarche des femmes qui se font opérer. Leurs motivations se trouvent dans la volonté d’une réhabilitation de leur intégrité physique, l’envie de redevenir entière.
Oser briser le tabou de l’excision
Fatoumata s’adresse à tous, et vulgarise au maximum son propos pour que son message soit compréhensible pour les enfants à partir de 13 ans. Plus largement, elle encourage les adolescents à mieux connaître l’anatomie du corps des femmes.
« Je sais que c’est un sujet délicat, intime, mais il était important pour moi de briser ce tabou auprès du plus grand nombre, particulièrement des plus jeunes. »
Fatoumata porte cette exposition dans les hôpitaux, les lycées et toutes les structures qui la sollicitent. Elle a également développé un jeu de plateau et de cartes géantes illustrées pour permettre la connaissance du corps et de la sexualité auprès de publics plus jeunes et/ou illettrés. Ce puzzle géant, intitulé Wanita, représente un clitoris géant.
➡️ Plongez-vous dans notre interview avec Daphné Leblond, réalisatrice du film « Mon nom est clitoris », un dialogue libre et authentique entre jeunes femmes autour de la sexualité féminine
Grâce aux ONG, depuis les années 80, les choses changent. Certes, il existe des punitions légales, mais en Afrique, la tradition fait loi. Dans la lutte contre ce fléau, la place des hommes doit être prise en compte puisque leur parole est écoutée. Les rapports sexuels sont un partage et il est plus que nécessaire que l’excision soit éradiquée. Il existe des solutions réparatrices, psychologiques, juridiques et chirurgicales, mais le traumatisme marquera les victimes toute leur vie…
Violaine B — Celles qui Osent
➡️ Découvrez la poésie féministe de Rupi Kaur, celle qui libère la parole des femmes.
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Sources :
http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/21/2019_21_1.html
https://kroniques.com/2021/02/15/projet-ubuntu/
https://www.projetubuntu.com/
http://www.excisionparlonsen.org/comprendre-lexcision/quest-ce-que-lexcision/quappelle-t-on-lexcision/
https://www.franceculture.fr/emissions/sur-les-docks-14-15/reparer-lexcision
https://www.unicef.fr/contenu/espace-medias/nouveau-rapport-statistique-sur-les-mutilations-genitales-feminines
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