Pina Bausch : icône de liberté créative en danse au XXe siècle

Quand l’art chorégraphique libère le geste dansé chez Pina Bausch

 

« Dansez, sinon nous sommes perdus »

affirmait Pina Bausch.

Icône de la danse au XXe siècle, la chorégraphe s’est exprimée sur la scène européenne et internationale par sa personnalité, son langage de l’intime, sa présence chorégraphique. Sa compagnie, le Tanztheater Wuppertal, est à l’affiche dans d’innombrables productions à travers le monde et influence radicalement les arts du spectacle.

La danse se transpose en variations, gestes brusques, chutes, répétitions, mouvements de foule… La chorégraphe met en scène des thèmes du quotidien et transcrit en geste les relations humaines : hommes-femmes, enfants-adultes, nus-habillés, exposés-cachés.

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Dans ses pièces, nous retrouvons des influences hybrides qui interrogent les arts provenant de plusieurs horizons. Le cinéma, le théâtre, l’opéra, la musique jazz et la danse moderne sont des courants qui s’entrelacent dans toutes ses productions.

Mais, qui est vraiment Pina ?

 

Les premiers pas de Pina Bausch plantent le décor

Pina Bausch naît en Allemagne, à Solingen, en 1940. Elle grandit dans l’auberge de ses parents avec ses frères et sœurs et les aide au quotidien. C’est dans ce cadre, encore loin des projecteurs, qu’elle observe les gens, leurs actions et la trivialité de la vie. Leur peur, leur souffle demeurent des aspects qui la touchent et qui seront très vite transposés dans ses gestes chorégraphiques. On retrouvera également les tremblements, les changements irréversibles, les convulsions. Ce sont des jalons qui identifient sa confrontation très précoce à la guerre et la panique de quelque chose qui lui échappe. D’après elle, un danger peut arriver à tout instant.

Elle commence ses études à l’École Folkwang d’Essen, dirigée par le chorégraphe Kurt Jooss, en 1955. Dès le début, il entrevoit une lueur singulière en elle : une manière de bouger, de sentir le geste et le corps hors du commun.

 

Des études à l’international : à la découverte de la danse new-yorkaise

En 1958, elle obtient une bourse d’études à la Julliard School of Music de New York. De l’autre côté de l’Atlantique, Pina découvre un nouveau monde artistique. Plusieurs compagnies new-yorkaises s’arrachent la danseuse : le New American Ballet, le Metropolitan Opera Ballet, la Paul Taylor Dance Company pour en citer quelques-unes. New York vit alors une époque bouillonnante sur le plan artistique.

La chorégraphie est dominée par le pouvoir et le charisme de George Balanchine qui impose un second souffle au ballet classique. Il lance ainsi les prémices du développement de la danse moderne. Pina en est ravie ! Elle assiste aux spectacles et au cours sous l’aile bienveillante de plusieurs chorégraphes : Martha Graham, Paul Sanasardo, Paul Tylor, Donya Feuer.

Elle prolonge d’une année son séjour à New York en se laissant porter par les courants éclectiques : la danse de Pina Bausch sera l’incarnation de cette diversité. Elle éprouve par ailleurs un profond respect pour l’opéra lyrique et un amour spasmodique pour le jazz. Une fois de retour en Allemagne, elle ose mélanger la musique traditionnelle à celle du divertissement.

La création du Tanztheater de Wuppertal à la recherche d’un nouveau langage chorégraphique

Pina Bausch revient dans son pays d’origine, appelée à l’aide par Kurt Jooss. Désormais, elle ne se limite pas à son rôle d’interprète. Elle milite pour une nouvelle libération du geste.

En 1969, elle obtient le prix au concours chorégraphique de Cologne pour les pièces « Fragments » et « Wind From West », qu’elle a développées elle-même. Et c’est ainsi qu’elle met en scène ses premières œuvres pour Wuppertal. En manque d’idées pour son ballet, le directeur Arno Wüstenhöfer la nomme à la tête de la direction.  Le « Tanztheater » voit le jour en 1974. À la croisée de deux arts vivants (le théâtre et la danse), ce terme est apparu pour la première fois grâce à Rudolf Laban en 1920. Pionnier de la danse moderne européenne, Laban utilise ce mot pour manifester une volonté de se détacher du ballet. C’est ainsi que l’envie de libérer le mouvement prend tout son sens dans l’art de Pina. Elle s’inscrit donc dans « le geste expressionniste » allemand.

 

« Affecté de mouvements indicibles, fragile, tout en discontinuité malgré son ancrage dans le sol, le corps des danseurs de Pina Bausch exprime la douleur, il est travaillé par des blessures secrètes, qui échappent à la logique et la raison du déplacement. » souligne Mélanie Papin, chercheuse en danse, lors d’une conférence à IFM-Paris.

 

Pina Bausch et la poésie du geste

Le Tanztheater a apporté une réelle révolution dans le langage chorégraphique international. Au fil des ans, Pina Bausch a intégré dans son processus créatif le rapport et l’évolution aux sentiments profonds. La peur, l’angoisse, la solitude, le désir, le plaisir renforcent le rôle de son œuvre et la proximité avec son public. Sa partition chorégraphique et le sens de son geste alimentent la réflexion de l’être humain face à ses responsabilités. Ces trois pièces phares sont le reflet d’une révolution qui bouleverse à jamais l’histoire de la danse au XXe siècle.

 

Le Sacré du Printemps : reprise d’une œuvre historique

En 1975, « Le Sacré du printemps » voit le jour. Pina est déjà célèbre, mais sa force émotionnelle est enfin dévoilée. À l’époque, l’impact de sa dramaturgie demeure encore inconnu au public. Un mouvement de foule ou les groupes de danseurs et danseuses, des mouvements tantôt saccadés, tantôt fluides.

La précision et l’honnêteté du geste dominent le plateau. Le sacrifice est révélé et la musique d’Igor Stravinsky prend le dessus sur le solo de l’interprète sacrifiée.

Café Müller : une poétique de l’intime

L’œuvre de Pina Bausch ne pourrait avoir un tel impact dans les arts vivants si « Café Muller » n’avait pas existé. Créée avec six danseurs et danseuses, elle s’avère être un petit bijou du Tanztheater. Le rôle de Pina Bausch dans cette pièce a été repris par plusieurs grands interprètes comme Dominique Mercy ou Nazareth Panadero. Le thème du désir, de l’envie et du rapport à l’autre, circule entre les personnages sur scène. Les arias d’Henry Purcell envahissent l’espace et subliment les corps.

 

Kontakthof : la scène entre humour et brutalité

Dansée en première en 1978 au Théâtre de Wuppertal, cette création reproduit en mouvement des sujets que l’on retrouve dans chacune des œuvres de Pina : la solitude, les interactions humaines, les hommes et les femmes.

Les relations se dessinent de manière très claire dans « Kontakthof ». Cela en fait l’une des productions les plus émouvantes voire réconfortantes, avec des élans de tendresse, la douceur du toucher. Les lignes, les cercles, les diagonales : tout est défini avec une immense précision. Pina a l’audace d’alterner des scènes extrêmement contrastées où violence et humour se succèdent. Le mouvement est entrecoupé et le geste est fluide.

 

 

La mémoire de Pina : transposition du geste et reprise de l’œuvre

Prix et hommages à l’icône de la danse expressionniste

Pina meurt en 2009, à Wuppertal, d’un cancer foudroyant. Durant sa carrière, elle reçoit de nombreuses récompenses liées à ses œuvres. Son parcours artistique se distingue comme l’un des plus remarquables de la danse au XXe siècle.

Parmi ses distinctions, on compte :

  • le Bessie Award à New York (1984) ;
  • le Deutscher Tanzpreis (1995) ;
  • le Theaterpreis Berlin (1997) ;
  • le Prix impérial au Japon (1999) ;
  • le Prix Nijinski à Monte-Carlo (2004) ;
  • le Masque d’or à Moscou (2005) ;
  • le Prix Goethe de la ville de Francfort-sur-le-Main (2008).

 

Dans les plus grands succès, on n’oubliera pas qu’elle a reçu le Lion d’or à la Biennale de Venise en 2007.

Le Tanztheater Wuppertal continue de transmettre la mémoire de ses œuvres sous la direction de Boris Charmatz depuis la saison 2022/23.

 

Films et productions chorégraphiques pour la survie du geste dansé

 

En 2024, la pièce « Barbe-Bleue » est rentrée dans le répertoire de l’Opéra national de Paris avec l’interprétation magistrale de Léonore Baulac et son partenaire de scène Takeru Coste. Cette pièce est un emblème de la partition chorégraphique de Pina qui se base sur la répétition des gestes jusqu’à l’épuisement. Le thème de l’histoire : les violences conjugales et les agressions envers les femmes.

 

Le rideau n’est pas tiré. Le spectacle perdure dans sa mémoire du geste dansé. Les co-productions internationales alimentent à chaque instant son rapport au public. Celle de Pina n’est pas une révolution provocatrice, mais une audace qui décèle les sentiments profonds.

 

Je vous recommande vivement le film « Pina » de Wim Wenders. Cette rétrospective retrace la poétique du mouvement de LA chorégraphe qui a changé le regard sur la danse au XXe siècle.

 

 

Giulia Papotti, pour Celles qui osent

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