Artiste et auteure, Rupi Kaur est avant tout une femme engagée. Propulsée par les réseaux sociaux, la jeune indo-canadienne de 28 ans séduit le web comme les maisons d’édition. Cette nouvelle figure du féminisme a conquis une génération et vendu partout dans le monde des millions de recueils, en faveur des droits des femmes. Son arme ? Des poèmes version 2.0 qui se picorent et se partagent sur Internet. Au fil des pages et des clics, ils claquent et virevoltent jusqu’à toucher en plein cœur. Comment la poésie féministe de Rupi Kaur est-elle parvenue à fédérer toute une communauté ? Décryptage.
La poésie féministe de Rupi Kaur à l’heure des réseaux sociaux
De l’ombre à la lumière
Rupi Kaur n’a que 4 ans lorsqu’elle quitte le Pendjab. Elle s’installe avec sa mère à Toronto au Canada. La barrière de la langue lui attire des moqueries et renforce son sentiment d’isolement. La peinture et le dessin deviennent très vite pour elle un refuge, face à un monde qu’elle n’est pas bien sûre de vouloir comprendre. Plus tard, un concours de rédaction et d’éloquence au lycée éveille en elle une appétence pour une poésie spontanée et protéiforme, qui se lit autant qu’elle se déclame. Un penchant qui ne la quittera plus par la suite.
L’émergence des réseaux sociaux offre ensuite à la discrète Rupi davantage de reconnaissance. Après un bref passage sur Tumblr, elle partage sur Instagram ses illustrations et ses textes. Pourtant, c’est un cliché d’elle posté en 2015 qui cristallise l’attention des internautes.
Rupi Kaur travaille en réalité sur un projet, dans le cadre d’un cours de rhétorique visuelle. Pour lever les tabous et les préjugés, elle diffuse une photo d’elle allongée sur un lit. Son pantalon est maculé de petites taches de règles. Elle espère ainsi démystifier les menstruations. À deux reprises, la plateforme supprime volontairement le contenu, jugé pornographique.
La révélation
L’artiste dénonce aussitôt le sexisme et l’hypocrisie du réseau qui montre des femmes dénudées, mais s’indigne de leur intimité naturelle. La photo devient rapidement virale et suscite une polémique. Des milliers de personnes soutiennent la légitimité de la démarche. Instagram fait machine arrière en invoquant une erreur de manipulation. Mais pour Rupi, la pilule ne passe pas.
Quelques mois plus tard, une maison d’édition américaine réalise un coup de maître, en lui proposant de publier son recueil de poèmes. Il bénéficie d’une traduction dans 40 langues et se hisse en tête des ventes du New York Times, plus de 77 semaines consécutives. Rupi Kaur rencontre effectivement un franc succès et réactive les consciences, au même titre que le mouvement #MeToo.
Les éditions Charleston et Pocket fournissent des versions françaises de milk and honey et the sun and the flowers. Son dernier ouvrage home body paraît en 2020. Oui, les minuscules ont ici toute leur importance !
Un art poétique entre pixels et polémiques
Une femme au style controversé
La poésie féministe de Rupi Kaur s’affranchit des règles. En effet, la poétesse ne s’embarrasse pas beaucoup des rimes. Elle utilise la ponctuation à dose homéopathique. Quant aux majuscules, elles ne l’intéressent pas davantage. Ce choix repose sur la volonté de rendre hommage au punjabi, sa langue maternelle, ainsi qu’à l’alphabet gurmukhi. Rupi Kaur prône une écriture accessible et dépouillée du superflu. Elle traite toutes les lettres indifféremment, en hommage à l’égalité qu’elle défend et aimerait voir régner dans le monde.
« tu craignais tant
ma voix
que j’ai décidé de
la craindre à mon tour »
L’Instapoet aux 4 millions de followers ne fait cependant pas l’unanimité. Elle subit de nombreuses railleries. Les critiques lui reprochent sa plume niaise et maladroite, à peine digne du niveau d’une collégienne. Sa renommée attesterait d’une génération peu exigeante, érigeant à tort en génie une absence totale de virtuosité du verbe. Mais l’auteure s’en moque. La profondeur du message lui importe plus que sa forme.
Un lectorat résolument féminin et connecté
Adulée par une communauté majoritairement féminine, Rupi Kaur réconcilie la génération Y avec la poésie. Elle flirte avec la prose et parvient en peu de mots à concentrer une pléthore d’émotions et s’émanciper de l’élite poétique masculine. L’avènement de cette poésie populaire trouve ainsi un écho puissant auprès des millenials sur le web, mais aussi des adultes. Partout dans le monde, des femmes dévorent ses textes et se déplacent pour assister aux lectures publiques.
Ce nouvel art poétique, insufflé par une femme au nom de toutes les autres, se propage sur Instagram. Les citations de Rupi Kaur se répandent de toute part. Un vrai shoot, résolution 1080 x 1080. Sa plume, tour à tour vaporeuse et incisive, mais jamais édulcorée, rassure la jeune génération tourmentée et friande d’immédiateté.
« on t’a appris que tes cuisses
sont un arrêt au stand pour les hommes qui ont
besoin d’un lieu où se reposer
un corps vacant assez vide pour accueillir des hôtes,
mais où personne ne souhaite demeurer »
Des poèmes engagés pour les droits des femmes
L’héritage du passé de Rupi Kaur
La jeune poétesse dissémine dans ses écrits sa propre histoire. L’emprise de la culture indienne transparaît dans la poésie féministe de Rupi Kaur. En Inde, le poids des traditions et de la religion pèse en effet sur les épaules des femmes et minimise leurs droits. Elles subissent des discriminations et des atteintes quotidiennes à leur liberté.
« sortir du ventre de ma mère
fut mon premier acte de disparition
apprendre à rapetisser pour une famille
qui aime ses filles invisibles fut le second »
La condition féminine tisse ainsi un fil d’Ariane tout au long de ses recueils. Rupi Kaur s’insurge contre une société patriarcale, qui instrumentalise l’émancipation des femmes et les relègue au rang d’objets sexuels, comme pour les punir d’avoir revendiqué des droits et une parité.
À travers sa propre histoire, l’auteure délivre également la biographie des autres femmes. Celles qui osent, mais aussi celles qui n’osent pas encore s’extraire des stéréotypes. Rupi Kaur laisse en effet une ouverture à l’identification en explorant, outre des sujets comme le viol et le racisme, des thématiques universelles : l’amour, l’intimité, la désillusion, etc.
La sororité au cœur de la poésie féministe
Rupi Kaur préfère la manière délicate à l’incitation à la colère. En guise de bouclier contre une société machiste, elle convoque la bienveillance et la sororité.
« je veux m’excuser devant toutes les femmes
que j’ai qualifiées de jolies
avant de dire qu’elles étaient intelligentes ou courageuses
je suis désolée d’avoir donné l’impression que
quelque chose d’aussi simple que ce don de la nature
devait être votre plus grande fierté
alors que votre esprit a abattu des montagnes »
Loin des manifestes véhéments, ses poèmes sont empreints de douceur et d’authenticité. Cette franchise désarmante confère à ses écrits une allure de journal intime, propice aux confessions et à la réflexion. Pour vous immerger dans son univers, découvrez le « Rupi Kaur Live », un stand-up poétique et une performance captivante unique de la poétesse.
Comme le ferait une amie, Rupi Kaur invite progressivement les femmes à se réapproprier leur corps et leur vie. Voix d’une génération désenchantée et d’une gent féminine malmenée, elle entend faire de leurs blessures communes une force supplémentaire dans la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes.
Considérée par Forbes comme l’une des 30 femmes qui changent le monde, Rupi Kaur symbolise la quintessence d’une poésie désormais hybride et digitale. Elle révolutionne le genre et dote le féminisme d’une nouvelle dimension, non sans quelques controverses. Sa prose épurée et ses croquis évoquent la condition féminine, dans ce qu’elle recèle de plus onirique et de plus tragique. Elle témoigne surtout de la place qu’une femme de couleur est parvenue à se faire, dans un milieu jusqu’alors dominé par des hommes blancs. Là réside peut-être le vrai génie de la poétesse du XXIe siècle.
→ Pour découvrir une autre poétesse engagée, lisez notre article sur Amanda Gorman, poète prodige ayant livré une prestation intense avec son désormais incontournable « The Hill We Climb ».
→ N’oubliez pas la biographie de Marceline Desbordes-Valmore, « La grande sœur des romantiques »
Sandra Dall’Acqua pour Celles qui Osent
Sources :
Site officiel de Rupi Kaur
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
2 Comments
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je suis poétesse, féminsite et voyageuse et j’aimerais diffuser mon travail sur votre blog…
Z’ll