Artiste peintre bionique, amputée des membres inférieurs et d’un bras, Priscille Deborah ose peindre la vie. Elle a publié un ouvrage témoignage intitulé La peine d’être vécue (Ed. Les Arènes, 2015), véritable message d’espoir, après avoir traversé une grave dépression et un parcours de vie « chaotique ». Artiste professionnelle, ses toiles bénéficient d’un rayonnement international (en France, à Berlin, New York, au Danemark, au Cameroun, en Italie, en Suisse ou encore en Belgique…). Également conférencière, Priscille Deborah souhaite sensibiliser au handicap, le démystifier et faire évoluer les mentalités. Première patiente française à bénéficier d’une prothèse de bras bionique commandée par le cerveau, elle a dû médiatiser cette aventure médicale pour accéder à cette technologie qui reste, pour le moment, encore coûteuse. Celles qui Osent revient sur le parcours d’une femme combattive qui ose peindre ses émotions…
Un parcours de vie « chaotique »
Devoir faire face à la mort de son jeune frère
Priscille Deborah naît en 1974, dans une famille bourgeoise, d’un père banquier qui a fait polytechnique, et d’une mère professeure de français. Son petit frère, atteint de mucoviscidose, meurt à l’âge de 9 ans. « Je ne me rendais pas compte de la gravité de la maladie de mon petit frère. Très fusionnels, nous avions l’impression que rien ne pouvait nous arriver. Quand il est mort, je ne m’y étais pas préparée. Cela a été un choc : je me suis retrouvée amputée d’une partie de moi-même ». Priscille ne parvient pas à surmonter sa douleur ; ses parents se murent dans les non-dits, leur peine étant trop forte. Parallèlement, elle découvre la peinture et excelle dans cet art. Quand elle envisage d’en faire son métier, il en est hors de question. Ses parents veulent qu’elle réussisse, si bien qu’elle endure beaucoup de pression, « pour faire de moi quelqu’un qui n’était pas moi. Je fais une terminale S alors que j’étais nulle en maths. Je me force à entrer dans un moule. »
Après de brillantes études de commerce, elle travaille dans la production cinématographique. « Wonder woman, boulimique de travail, téléphone scotché à l’oreille, je me croyais indispensable. » Prise dans le tourbillon de la réussite sociale, elle épouse un bon parti, puis donne naissance à une jolie petite fille. « J’avais théoriquement tout pour être heureuse. »
Réapprendre le goût de la vie
Pourtant, elle fait une dépression post-partum. « C’était comme si tout mon mal-être s’échappait à ce moment-là. J’avais l’impression d’être une mauvaise mère, une imposture ». Elle ne s’autorise pas à prendre un congé, travaille, et se lance dans une licence d’arts plastiques : elle veut tout mener de front, mais n’y parvient pas.
Tempête sous un crâne. Ses psychiatres parisiens ne l’aident pas, elle jongle avec des antidépresseurs, ne supportant pas de « devenir une loque humaine ».
Peu à peu, elle s’éloigne de la vie, estimant qu’elle ne « sert plus à rien ». Prisonnière d’un cercle vicieux néfaste, un jour, elle se jette sous une rame de métro. Au réveil, elle hurle pendant des semaines contre « son corps de ver de terre » et les médecins qui l’ont sauvé. Son mari reste. Privée de ses deux jambes et d’un bras, Priscille Deborah, contre toute attente, réapprend le goût de la vie.
La résilience, chemin vers le bonheur
Malgré son handicap, elle décide de devenir peintre, de vivre libre et de s’affranchir de sa vie d’avant. « J’avais envie de bouffer la vie. Libérée de la peur, j’avais une énergie de dingue, impossible à canaliser ». En 6 mois, elle puise au fond d’elle-même, retrouve des ressources insoupçonnées, se confronte à d’autres parcours de vie difficiles. Elle comprend qu’elle doit se réinventer, changer sa façon de penser, voir la vie différemment.
« Ce qui vaut la peine d’être vécu ? Pour moi, les voyages, les petits plaisirs comme passer des soirées avec des inconnus, par exemple. »
Elle rencontre son nouvel amoureux à un championnat de France de natation paralympique. Celui-ci a une maladie orpheline, proche de la sclérose en plaques, qui lui fait perdre momentanément l’usage de ses jambes.
Elle quitte alors son premier mari, qui reste dans le passé. « Ce n’était plus comme avant ». Elle se reconstruit une nouvelle famille : un nouveau mariage, puis une autre adorable petite fille, après avoir retissé des liens très forts avec son premier enfant.
Dans son parcours de résilience, « elle se concentre sur ce qu’elle peut encore faire au lieu de se focaliser sur ce qu’elle a perdu ». Non, ce ne sont pas des jambes en moins qui vont l’empêcher de vivre !
crédit photos Christophe Lepetit
Peindre ses émotions
Sa peinture est thérapeutique. Elle peignait déjà bien avant le handicap, en commençant dès son plus jeune âge par des cours académiques. Au fur et à mesure, elle crée son propre univers créatif, présentant des similitudes avec le mouvement expressionniste, courant artistique du début du 20e (Munch, Kandinsky, Schiele, Chagall ou Bacon).
Priscille Deborah peint, comme un acte rituel : « j’ignore comment finira le tableau. La toile me surprend, comme un voyage. » Elle aime réaliser des performances pour interagir avec le public, communiquer avec passion sa pratique artistique. « Je commence par mettre le bazar sur la toile. Je lâche de l’énergie, avec des peignes et des outils de bricolage. J’utilise des couleurs franches, vives, afin de traduire des émotions qui parleront au plus grand nombre. Ensuite, j’observe : mes yeux voient un visage, un corps. L’humain m’intéresse. » Tronches déglinguées, personnages fantomatiques ou ironiques sur le monde, l’artiste s’amuse à casser les codes. Ne vous y fiez pas pour autant : elle maîtrise à la perfection le dessin. Ses tableaux traduisent des émotions, de la poésie aussi.
« Je commence souvent 6, 7 toiles en même temps. Je fais confiance à ce que je ressens ; la peinture suit mon parcours personnel. Elle va de plus en plus vers la lumière… même si je sais par avance que je ne ferai jamais des petits chats ou des bateaux. »
Pour elle, toutes les œuvres picturales peuvent toucher, même pour l’œil profane. L’art est universel. « C’est difficile pour un artiste d’expliquer sa démarche, de verbaliser. »
Certaines femmes l’ont inspiré : la célèbre artiste peintre mexicaine Frida Kahlo a été un de ses modèles. Priscille Deborah cite également Marie Delmarès, comédienne engagée qui défend la singularité et Corinne Chauvet, une sculptrice portant un regard lumineux sur la vie.
Priscille Deborah, première femme française avec un bras bionique
Une coûteuse mais nécessaire technologie
Cela fait maintenant plus de 15 ans que Priscille Deborah est en situation de handicap. Suite à une opération chirurgicale, Priscille est aujourd’hui appareillée avec une prothèse commandée par la pensée pour son bras droit. Son bras gauche est son seul membre “valide”. Avant l’opération, elle faisait beaucoup de gestes compensatoires. À force de répétitions, ils ont endommagé son corps qui a pris de mauvaises postures. « Au début, j’avais très envie d’être autonome et de montrer de quoi j’étais encore capable. » De peur de perdre son bras gauche à force de le sur-solliciter, elle entreprend avec son orthoprothésiste des démarches pour bénéficier d’une technique chirurgicale qui existe déjà depuis 15 ans aux États-Unis, mais qui n’a encore jamais été importée en France. De plus, cette chirurgie atténue les douleurs fantômes. En 2018, grâce à son orthoprothésiste, une équipe médicale pluridisciplinaire est constituée sur Nantes. L’opération dure cinq heures, sous anesthésie générale. S’ensuivent deux ans de rééducation acharnée, pour apprendre à son cerveau à se réapproprier son nouveau bras : travail de visualisation face au miroir, de visualisation mentale, d’exercices complexes comme saisir des objets. Tous les jours, Priscille Deborah travaille d’arrache-pied, s’acharne à récupérer des aptitudes fonctionnelles quotidiennes (cuisine, peinture, sport) avec sa prothèse bionique, entourée de son ergothérapeute et de son orthoprothésiste en charge des réglages.
« Aujourd’hui, les gestes du quotidien sont plus rapides et moins fatigants. La prothèse me permet de vivre avec deux bras. » Cependant, la médiatisation de son opération a été nécessaire (JT France 2, reportage TF1, etc.) : « le protocole coûte 160 000 euros. Il était important de montrer à la sécurité sociale que cela n’est pas un simple caprice, mais un réel besoin. La sécurité sociale prend 30 000 euros à sa charge ; j’ai fait appel à des mécénats, des courses solidaires pour avoir des soutiens financiers et réunir la somme nécessaire. »
Faire du sport, autrement
Priscille Deborah commence par faire de la natation ; « libre dans l’eau », elle apprend les 4 nages et se lance des défis, en compétition. Ensuite, elle découvre la plongée, avec une prothèse-palme. “ Je me régale. J’adore cela, c’est ludique et je peux profiter de la nature.” Elle pratique également le ski en position assise. Elle fréquente aussi un centre d’équithérapie. « En osmose avec le cheval, j’apprends à créer une connexion avec le cheval, qui est un animal très intelligent. Quand je n’étais pas handicapée, j’étais dans la maîtrise, pas vraiment à l’écoute des animaux. Dans le sport, j’aime être autonome. J’ai toujours aimé être indépendante, mais dans ma situation, j’ai dû accepter de l’aide, même si cela peut avoir un côté infantilisant parfois… »
Pour Priscille Deborah, le handicap n’est pas un frein au bonheur. « Je ne me suis jamais sentie aussi entière que depuis que je vis avec un corps incomplet. Tout le monde dans sa vie a le choix de se lamenter sur son sort, ou d’agir pour trouver sa place ». Elle conseille de « laisser les vides dans sa vie, arrêter de vouloir les combler à tout prix, pour être réceptive, à l’écoute. Mettre en pause la productivité. Si l’on n’est pas heureux, il ne faut pas hésiter à se défaire des choix conditionnés par l’éducation. Casser les codes, s’autoriser à vivre sa vie pour trouver sa place sur terre. » La vie vaut la peine d’être vécue, qu’en pensez-vous ?
Pour découvrir le travail pictural de l’artiste Priscille Deborah :
http://www.priscilledeborah.com/
ou pour lire son ouvrage témoignage, La peine d’être vécue (Ed. Les Arènes, 2015)
Violaine B. – Celles Qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
3 Comments
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« Possède une maladie orpheline » : vous êtes sérieux, là ?!
Bonjour Sissy,
En effet, c’est une formulation hasardeuse… Nous venons de la modifier. Merci pour votre commentaire.
Stéphanie