C’est l’un des procès les plus importants de l’histoire du féminisme français. En 1972, Gisèle Halimi défend une jeune adolescente, Marie-Claire Chevalier, jugée pour avoir avorté après un viol, lors du procès de Bobigny. Quatre autres femmes sont également accusées, dont la mère de Marie-Claire Chevalier, à qui l’on reproche d’avoir permis à sa fille d’interrompre volontairement sa grossesse. Trois ans plus tard, en 1975, la loi Veil promulguant la légalisation de l’avortement est adoptée. Voici le récit de ce procès historique et de la plaidoirie de l’avocate féministe Gisèle Halimi, qui a osé faire de Bobigny non pas le procès des accusées, mais celui de la loi répressive qui criminalise l’avortement.
Une jeune fille violée, accusée d’avoir avorté
1971. En Seine–Saint-Denis. Marie-Claire Chevalier, 16 ans, tombe enceinte après avoir subi un viol par un camarade de lycée. Après ce traumatisme, elle veut avorter. Sauf qu’à cette époque, l’IVG est passable d’un à cinq ans de prison et d’une amende de 100 000 francs. Elle supplie sa mère, Michèle Chevalier, de l’aider. Employée à la RATP, mère célibataire de trois filles, elle ne gagne que 1500 francs par mois. Or un avortement réalisé dans une clinique, par un médecin, coûte environ 4500 francs. Faute de ressources financières suffisantes, elles doivent faire appel à une « faiseuse d’ange » ; ces femmes, sans aucune qualification médicale, pratiquent des avortements « artisanaux », dans des conditions d’hygiènes souvent désastreuses. Grâce à plusieurs contacts (elles sont quatre à l’avoir aidé), Marie-Claire parvient à se faire avorter. Malheureusement, quelques jours plus tard, la jeune fille fait une hémorragie et doit être emmenée d’urgence à l’hôpital.
Quelques semaines plus tard, le violeur de Marie-Claire Chevalier est arrêté par la police : il est soupçonné d’avoir participé à un vol de voitures. Dans l’espoir que les autorités le laissent partir, il avoue le vol mais aussi l’avortement clandestin de Marie-Claire. Les policiers se rendent alors au domicile des Chevalier. La mère et la fille avouent immédiatement. Cinq femmes sont alors inculpées pour avortement. Michèle décide, après avoir lu Djamila Boupacha, écrit par Gisèle Halimi dans laquelle elle défend une militante algérienne torturée et violée par des soldats français, de contacter la célèbre avocate. Gisèle Halimi accepte de les aider.
Attaquer la loi qui criminalise l’avortement
Gisèle Halimi décide, aux côtés de Simone de Beauvoir, avec qui elle préside l’association féministe Choisir, de mener un procès politique et médiatique. Elle souhaite défendre toutes les femmes ayant déjà subi un avortement, ou souhaitant y avoir recours. Halimi fait de Bobigny non pas le procès des accusées, mais celui de la loi répressive de 1920 qui criminalise l’avortement. À l’époque, l’IVG est légale en Suisse et en Grande-Bretagne, où voyagent les Françaises les plus riches souhaitant se faire avorter. Mais qu’en est-il des autres ? Qu’en est-il des milliers de Marie-Claire Chevalier ? D’ailleurs, la première fois que la mère de Marie-Claire se trouve devant le juge d’instruction, elle dira :
« Mais, monsieur le juge, je ne suis pas coupable ! C’est votre loi qui est coupable ! »
Marie-Claire étant mineure, le procès a lieu en huis clos, ce qui limite sa médiatisation. Il se déroule en deux temps : celui de la jeune fille d’abord, puis de sa mère ensuite. Grâce à la mobilisation des associations féministes comme Choisir ou le MLF — le mouvement de libération des femmes, des milliers de militantes crient sous les fenêtres du tribunal pour enfants de Bobigny :
« L’Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres »
Le 11 octobre 1972, Marie-Claire est relaxée.
« Parce que l’on considérait qu’elle n’avait pas délibérément ni volontairement choisi d’accomplir l’acte qui lui était reproché. Parce qu’elle avait souffert, disait le jugement, de “contraintes d’ordre moral, social, familial, auxquelles elle n’avait pas pu résister. » Gisèle Halimi
Le procès de Bobigny, l’affaire qui a légalisé l’avortement
Gisèle Halimi doit désormais sauver Michèle Chevalier de sa condamnation. À ses côtés comparaissent également l’avorteuse de Marie-Claire et deux des collègues l’ayant aidée à trouver son contact. La presse étant présente dans la salle d’audience, l’avocate décide d’utiliser cette visibilité médiatique pour rallier l’opinion publique à sa cause. Elle convoque alors à la barre médecins, intellectuels et personnalités politiques telles que Delphine Seyrig, Françoise Fabian ou Jacques Monod, prix Nobel de médecine, argumentant contre la loi de 1920, jugée inéquitable et injuste. Au sein des associations comme le MLF et Choisir, pourtant, sa stratégie fait débat. Pour les militantes, l’avortement est une affaire de femmes, pas de philosophes ni de députés. Mais Gisèle Halimi tient bon. Tout le monde s’attend à ce que les accusées reconnaissent leurs torts, mais celles-ci font tout le contraire : elles n’expriment aucun regret.
Le jugement du procès Bobigny est délibéré le 22 novembre 1972. L’avorteuse est condamnée à un an de prison, Michèle Chevalier à une amende de 500 francs, tandis que ses deux collègues sont relaxées.
Trois ans plus tard, en 1975, la loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse est promulguée en France, aboutissement d’un long combat dont le procès de Bobigny a été l’une des étapes décisives et le symbole du procès politique de l’avortement.
Connaissez-vous l’histoire du manifeste des 343 ? Cette audace a permis de faire évoluer les mœurs d’une société ne pouvant plus ignorer l’ampleur des drames vécus par les femmes qui avortent…
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
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