Si le terme est étranger à certaines, nous avons toutes déjà assisté à un ou plusieurs male gazes au cinéma. Traduit en français par « regard masculin », il est partout : dans l’art, dans la littérature, et, plus communément dans nos représentations contemporaines : dans les séries et les films. Alors, qu’est-ce que le male gaze ? On vous en donne la définition, et vous explique comment le déconstruire.
Qu’est-ce que le male gaze ? Définition
Le male gaze a été théorisé en 1975 par Laura Mulvey, une réalisatrice britannique et militante féministe. Il désigne la manière dont le regard masculin s’approprie le corps féminin quand la caméra s’attarde sur les jambes d’une actrice ou sur ses fesses, quand le corps de la femme est réifié et devient un objet sexuel, disponible pour les yeux du spectateur masculin.
Tout le monde connaît le fameux mouvement de caméra, qui consiste à aller des pieds à la tête d’un personnage féminin, langoureusement pour vous faire admirer la plastique de l’actrice. Ah oui, parce que, pour qu’il y ait male gaze, il faut que les actrices soient entièrement soumises aux diktats de beauté contemporains : grandes, minces, bronzées…
Autre caractéristique du male gaze : il est souvent gratuit. Vous vous souvenez du Retour du Jedi, sixième épisode de Star Wars ? L’une des premières scènes montre la princesse Leïa, presque nue, en espèce de bikini mettant en valeur ses formes, prisonnière d’une grosse limace répugnante. Leïa est en position d’extrême vulnérabilité : difficile de s’échapper dans cette tenue. Ici, le male gaze incarne une asymétrie puissante entre le traitement des personnages féminins et celui des personnages masculins : Han Solo, le beau gosse de la saga joué par Harrison Ford, congelé dans de la carbonite, embrasse, tout habillé, la princesse dénudée.
L’omniprésence du male gaze dans nos représentations : exemples
Le problème du male gaze, c’est qu’il est partout, et gangrène nos représentations visuelles et culturelles depuis toujours. Dans Le verrou, un tableau peint par Fragonard en 1787, on peut voir une femme qu’un homme agrippe, mais qu’elle semble rejeter, tandis qu’il essaye de fermer la porte à clé. On comprend que les deux protagonistes sont sur le point d’avoir un rapport sexuel, mais les récentes théories féministes se sont interrogées sur la scène décrite par le tableau. Avons-nous affaire à un rapport amoureux et consenti ? Ou la scène peinte par Fragonard est-elle une scène de viol ?
Dénoncer le male gaze revient donc à s’interroger sur les représentations culturelles qui nous entourent. Par le prisme du regard masculin, la femme est tout de suite chosifiée, et son esprit ainsi que sa volonté ne lui sont plus propres. Les personnages féminins sont donc rarement des personnages à enjeux : dans Le verrou, la femme est passive, elle subit, tandis que l’homme est actif et va fermer la porte à clé. S’interroger sur la pertinence du male gaze, c’est redonner son importance à la perspective féminine, c’est se demander si la situation telle qu’elle est représentée à l’écran, dans un livre, ou sur une toile, valorise les personnages féminins en tant qu’êtres à part entière, ou si elle les transforme en objets inactifs.
Male gaze vs female gaze
Alors quelle alternative au male gaze ? Simplement… Le female gaze. Théorisé par la Française Iris Brey, le female gaze fait suite aux recherches de Laura Mulvey et a pour but de faire de la femme un sujet central de l’œuvre, et non plus un simple objet appropriable. Pour concrétiser son female gaze, Iris Brey a établi une liste de plusieurs questions à se poser quand on regarde un film :
- Est-ce que le personnage principal s’identifie en tant que femme ?
- Est-ce que l’histoire est racontée du point de vue du personnage principal féminin ?
- Est-ce que l’histoire remet en question l’ordre patriarcal ?
- Est-ce que la mise en scène permet au spectateur ou à la spectatrice de ressentir l’expérience féminine ?
- Si les corps sont érotisés, est-ce que le geste est conscientisé ?
- Est-ce que le plaisir des spectateurs est produit par autre chose qu’une pulsion scopique ? (La pulsion scopique désigne le plaisir de posséder l’autre par le regard.)
Le female gaze d’Iris Grey rappelle d’autres théories féministes du cinéma, comme le test Bechdel théorisé en 1985 par Alison Bechdel, autrice de bandes dessinées. Selon elle, pour déterminer le caractère sexiste d’une œuvre de fiction, trois critères sont attendus :
- Il doit y avoir au moins deux femmes nommées (nom/prénom) dans l’œuvre.
- Elles doivent parler ensemble.
- Et parler d’un sujet sans rapport avec un homme.
Vous cherchez des œuvres mettant en application le female gaze ? N’hésitez pas à aller consulter notre article sur la série Sex Education ou à lire notre sélection littéraire féministe du mois de novembre.
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
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