Dans Captain Fantastic, le film réalisé par Matt Ross, un couple atypique et brillant a décidé d’élever ses enfants dans la forêt, à l’abri de la société de consommation et de ses dérives. L’aboutissement est splendide, chaque membre de la famille, de 5 à 20 ans, a une intelligence critique d’une incroyable pertinence, une condition physique qui dépasse de loin tout ce qu’on peut connaître ainsi qu’une créativité bluffante. La mère, malgré ce chef-d’œuvre aux antipodes des règles limitantes modernes, est atteinte de graves troubles psychiques, qui font alterner des états d’euphorie avec des phases de dépression aigüe. En pleine crise, elle finit donc par se tailler les veines. Tout ceci n’est qu’une fiction. Pourtant, Matt Ross, aussi scénariste, pose une question qui a traversé toute l’histoire de l’art et de l’entreprise, aussi bien avec les poètes maudits qu’avec les stars contemporaines comme Lana Del Rey et Sia. La créativité n’est-elle pas immanquablement liée à des cycles qui exacerberaient les moments de grâce et les moments d’enfer ? Et pour celles d’entre vous qui connaissent la tristesse écrasante, capable de détruire les plus belles fondations sur son passage, on est en droit de se poser la question : peut-on réussir sa vie en étant dépressif ?
On peut être dépressif, inspirant et brillant
Encore cette société qu’on accuse. Oui mais, qui peut nier l’impératif latent qui pèse sur chacun d’entre nous, celui de la performance en toutes circonstances ? Un des déclencheurs majeurs de cancer, première cause de mortalité en France, peut être imputé au stress. L’hypersensibilité est une maladie en recrudescence dont le sujet est abordé dans nombre d’ouvrages de développement personnel ou de BD, comme Goupil ou Face, qui traite de la cyclothymie. Selon l’association « Vaincre le Burn-Out », 12 % des travailleurs français, toutes catégories confondues, seraient concernés par le burn-out. Bref, si le mal-être reste un des grands maux du siècle, c’est sûrement parce que, jusqu’à présent, on ne lui avait pas attribué de nom ni de légitimité. Or, comme l’explique très bien Marina Rollman dans une de ses chroniques, « La dépression est une maladie, pas une personnalité. Elle reste enfermée chez elle, elle pleure en regardant des corbeaux passer : c’est Marina quoi ! On ne ferait pas ça avec une autre maladie. Elle a de la fièvre, elle tousse du sang : c’est Marina quoi ! Non, c’est la tuberculose, hein, faut consulter ».
Au travail, en société ou en famille, qu’y a-t-il de pire que de devoir gérer de front son malaise et l’incrédulité des personnes qui nous entourent ? Cette double peine imposée aux « fragiles » est culturelle autant que psychologique. Exposer ses faiblesses devient un danger imminent pour l’autre. De quoi s’entendre dire : « Allez, faut juste te foutre un bon coup de pied au cul et ça va passer », comme si en plus d’être tristes on était fainéants. Eh bien, savez-vous quoi ? On n’est jamais dans la marmite des gens. Beaucoup de célébrités (Claire Chazal, Jim Carrey, Charlotte Rampling, Lambert Wilson et bien d’autres) sont passées par la dépression, sans que cela remette en cause leur génie ! Loin d’être gage de faiblesse ou de complaisance dans le malheur, c’est peut-être le signe de perceptions exacerbées du réel, qui sont invisibles aux autres. Quel humain peut-être tranquille devant l’idée de la mort ou de l’impermanence de la vie, qui ne garantit absolument rien, ni amitié, ni amour, ni sérénité ? Qui peut tenir debout devant la précarité des relations humaines, de l’entraide et des paroles données qui ne valent rien ? Aucun semblable n’est capable de répondre à ces questions sans défaillir à son tour. Il est donc plus aisé de se protéger (ce qui est tout à fait légitime), en décrédibilisant ceux qui souffrent et en éloignant des consciences leurs questions existentielles non résolues. Pourtant, ce vide existe bel et bien. C’est le motif de toute la philosophie, de la littérature et même de certaines branches de la science jusqu’à présent. Il n’est donc pas du ressort de vos proches d’y répondre, mais heureusement, il existe des professionnels capables de vous aider.
Surmonter la souffrance rend plus fort
Aucun psychologue, aucun énergéticien, ni psychiatre ne répondra aux questions mystiques qui vous affectent. Personne ne vous dira pourquoi cet abysse existe au fond de votre poitrine, malgré tous les efforts que vous avez faits pour vous construire une vie pleine de sens. Les clefs de ces réponses sont en vous et avec de l’aide, vous avez le pouvoir de recréer la joie, le sens et la valeur des instants que vous vivez. En cela, un professionnel peut vous donner des outils précieux pour vous orienter sur le chemin, sans subir à chaque fois cette dévastation émotionnelle. De façon provisoire déjà, en guise de soulagement, puis durant toute la phase de reconstruction à posteriori.
Physiologiquement, la dépression est due à un déficit de sérotonine, de dopamine et de noradrénaline contenues dans les neurotransmetteurs qui régulent l’humeur. Les maladies associées à ce dérèglement sont nombreuses : hypersensibilité, cyclothymie, neurasthénie, bipolarité, dépression, schizophrénie, etc. Ces troubles de l’humeur sont chimiques. Il est donc normal que vous ne soyez pas en mesure de gérer vos émotions, vos idées et l’interprétation que vous faites des situations. Mais les questions que vous vous posez existent et sont importantes.
Dans le « Et tout le monde s’en fout » traitant des émotions, Axel Lattuada explique que chaque émotion a une fonction biologique, qui sert à retourner l’état de contentement. La colère intervient pour donner l’énergie de changer une situation que nous jugeons injuste et pour, se faisant, retrouver la sérénité. La peur produit l’adrénaline nécessaire pour fuir devant le danger et se mettre à l’abri. La tristesse enclenche un mécanisme de deuil par lequel on peut considérer une situation comme révolue. Le problème intervient quand ces émotions perdurent à outrance, pour des causes diverses (pression sociale, traumatisme, déficits ou carences, etc. ). La leçon, c’est que d’une part, la cause et les questions posées par la dépression sont légitimes, d’autre part, il faut faire appel à des professionnels compétents, pour vous soigner véritablement.
Sur sa chaine YouTube, « La Carologie » , la jeune femme explique son parcours pour venir à bout de la dépression, en commençant par les antidépresseurs. Nombre d’internautes réagissent avec véhémence face à ce sujet. Elle explique avec tact que ce n’était qu’une étape qui l’a maintenue debout provisoirement quand elle s’effondrait, mais que la voie médicamenteuse a fonctionné en complément d’un travail de fond, semblable à une rééducation complète.
Il a fallu :
- réparer ses blessures morales superficielles et profondes ;
- renforcer les zones atteintes, en apprenant à se sécuriser affectivement seule ;
- éviter les faux mouvements psychiques, pour ne pas repartir dans ses travers ;
- préserver la zone endommagée en continuant de la stimuler pour qu’elle travaille (réapprendre à faire confiance, à aimer, à donner).
Hypnose, EMDR, psychologie, psychiatrie, acuponcture, naturopathie, soins énergétiques, spiritualité : les méthodes sont nombreuses et complémentaires. Comme le ligament croisé d’un skieur peut-être plus solide après une opération et une rééducation, certains ressortent renforcés d’une dépression, solidement basés sur un cœur plus stable. Je trouve personnellement que ceux qui ont traversé le mur de la souffrance vont généralement droit à l’essentiel. Quelques-uns deviennent de précieux soutiens et une oreille attentive pour ceux qui s’arrêtent en chemin. Qui pourrait affirmer que cette phase de la vie a été traversée en pure perte ?
Réussir sa vie, c’est quoi à la fin ?
Réussir sa vie, est-ce avoir une Rolex autour du poignet comme le clamait Jacques Séguéla ? Si c’était le cas, pourquoi autant de moines auraient cherché à trouver le sens de la vie dans le plus grand dénuement ? Car la réussite matérielle comme on l’entend n’empêche ni d’être malade, ni de souffrir, ni de mourir. C’est au contraire une course sans fin pour posséder toujours davantage, sans prendre le temps d’affronter le néant que nous portons parfois en nous. On se voit en train de réaliser de grandes missions, pour rester sinon dans l’histoire, au moins dans le cœur de ceux qu’on aime. On nous a appris qu’il fallait laisser une trace spectaculaire de notre passage sur terre et cette injonction nous fait courir derrière des fantômes. Lorsqu’après de grosses déceptions, on se pose enfin pour écouter ce qui nous fait réellement envie, on se demande pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt.
Quand on y réfléchit, que peut-on nous demander d’autre, sinon cette chose fondamentalement simple, que d’être heureux ? Rien. Fonder sa vie sur des stratégies puissantes et complexes n’a rien de mauvais en soi. C’est même admirable. Seulement quand le cerveau ne s’arrête plus et qu’il prend le pas sur les plaisirs simples, au point de les salir, là, c’est problématique. Vous savez ? Pensouillard le hamster. Celui-là même ! Si on hiérarchise ses priorités, c’est le bonheur en premier et le reste qui suit. En effet, comment donner et créer si on n’a pas d’abord accumulé de la joie ? Cette réflexion semble naïve, mais elle est pourtant fondamentale. Le drame serait de perdre l’envie. On se remet toujours des défaites, des galères et des pannes financières, même si c’est inconfortable, voire complètement angoissant. Par contre, se bâtir une joie infaillible par delà les blessures de l’expérience et les tempêtes de l’existence, c’est vraiment réussir sa vie. Picasso écrivait : « J’ai mis toute ma vie à apprendre à dessiner comme un enfant ». Et si on relevait l’immense défi d’apprendre à être heureux comme des enfants ?
Voilà chères lectrices et chers lecteurs. Vous arrivez à la fin de cet article très subjectif, j’en conviens. J’espère sincèrement qu’il vous aura aidé à vous sentir mieux et à réaliser l’urgence de prendre soin de vous, avant tout. Je pense qu’on peut « réussir sa vie », quel que soit le stade où on en est, à partir de maintenant et que le bonheur est contenu dans une simplicité déroutante. Surtout, dans vos moments d’enfer, n’oubliez jamais que vous n’êtes pas seuls et que la lumière vous attend au bout du tunnel. Faites-nous signe si ces mots vous ont encouragé !
Charlotte Allinieu, rédactrice web pour Celles qui Osent
4 Comments
[…] dire, la rage qui sort de moi n’est pas moi. On pourrait adapter le raisonnement décrit dans l’article sur la dépression, en reprenant Marina Rollman. « La colère, c’est une émotion, pas une personnalité. Elle se […]
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