Entre spectacle vivant et sport de contact, le roller derby vous laisse avec une odeur de sueur dans les narines et des paillettes dans les yeux. Équipées de rollers quads (et non en ligne), les joueuses s’aventurent dans une course en patins à roulettes sur piste ovale. Popularisé en 2009 par le film « Bliss », ce sport semble s’être attiré les faveurs des minorités sexuelles et de genre ainsi que des femmes cisgenres en quête de sensations fortes. En France, en 2023, on compte environ 4500 licenciées, 120 ligues et près de 250 équipes ! Dans cet article, et grâce à ma pratique passée, je vous donne les clés pour comprendre les origines du roller derby, ses règles et les enjeux féministes et inclusifs qu’il porte.
Un sport né de la crise économique
Le roller derby est un sport né dans les années 1930 aux États-Unis. Du fait de la situation économique du pays à l’époque, des marathons sont organisés. À la clé pour les gagnants, des centaines de dollars et la garantie de repas chauds. Ceux-ci sont extrêmement populaires. Marathons de danse d’abord, auxquels succèdent rapidement les courses en patins à roulettes élaborées par Leo Seltzer.
Cet homme d’affaires s’intéresse de près au monde du spectacle et a tout de suite vu le potentiel de la pratique que deviendra, plus tard, le roller derby. En effet, épuisés et affamés, les participants se poussent, chutent et offrent un moment divertissant aux spectateurs. Les courses en rollers remportent un franc succès et sont diffusées à la télévision et à la radio.
En 1937 néanmoins, il paraît de plus en plus urgent de poser des règles, les joueuses se mettant régulièrement en danger. Ainsi naît le roller derby. S’en suivent quelques années fastes, mais le sport entame, après-guerre, un lent déclin avant de disparaître presque complètement en 1970.
C’est en 2000 qu’il suscite de nouveau l’intérêt au Texas. Surfant sur la vague du Do It Yourself, l’association Bad Girl Good Woman Productions crée une première ligue. Les joueuses se coachent entre elles et réalisent leur propre publicité. On distingue alors deux courants : la pratique sur piste plate et sur piste inclinée.
En France, et dans le championnat officiel, une rencontre de roller derby se déroue sur piste plate. En 2002, le premier match tel qu’on le connaît a lieu à Austin. Il oppose les Holly Rollers aux Hellcats. Lors de cette première rencontre, les joueuses affirment leurs styles et affichent leurs premiers « derby name ». Tout comme les noms des équipes, ceux-ci revêtent une importance toute particulière.
En 2004, la Women’s Flat Track Derby Association (WFTDA) est créée afin d’unifier les règles du jeu et permettre aux ligues de se rencontrer. Le Roller Derby s’exporte enfin dans le monde et c’est en 2009, à la sortie du film Bliss, qu’il connaît un véritable regain de popularité. Le sport est aujourd’hui en grande majorité féminin, mais des équipes mixtes et masculines existent. Certains clubs font néanmoins le choix de la non-mixité.
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Une activité sportive aux règles complexes
Le roller derby est un sport où les contacts sont souvent extrêmement violents. La raison est simple : en patins, on prend plus de vitesse et il est plus compliqué de s’arrêter. Les règles du jeu sont donc nombreuses afin d’assurer la sécurité des participantes.
Le règlement français édité par la WFTDA compte près de 90 pages. Pages que les fresh meat (joueuses novices) se devront d’apprendre par cœur afin d’obtenir leurs minimums skills théoriques. Les « minimum skills » constituent une certification pratique et théorique que les joueuses doivent passer avant de pouvoir espérer disputer un match. En pratique, il s’agit de s’assurer de ne pas être un danger pour les autres et pour soi-même.
Les équipes sont composées de 5 coéquipières maximum. Celles-ci peuvent occuper le poste de jammeuse ou de bloqueuse.
Le match est divisé en deux mi-temps de 30 minutes, qui elles-mêmes sont subdivisées en jeux, appelés jam, de 2 minutes maximum. Il y a 30 secondes entre deux jams.
Chacune des équipes va aligner 5 joueuses sur le track (la piste). La jammeuse, arborant un couvre casque avec une étoile, et les bloqueuses. Une joueuse parmi les bloqueuses peut avoir le rôle de pivot : elle aura alors un couvre casque avec une rayure et pourra prendre la place de la jammeuse en cours de jeu.
Lorsqu’une joueuse commet une faute, celle-ci est envoyée dans la penalty box, une prison à l’extérieur du track.
Chaque début de jam est rythmé par un coup de sifflet. Les bloqueuses sont initialement placées sur la ligne dite de pivot tandis que les jammeuses sont en arrière, au niveau de la ligne de jam. Afin de marquer des points, les jammeuses doivent commencer par dépasser la bloqueuse adverse la plus en avant et faire un tour complet du track. La première jammeuse à réaliser cette action devient lead jammeuse. Ce privilège lui permet d’arrêter le jam quand elle le souhaite et donc, d’empêcher l’équipe adverse de marquer des points. Les points sont marqués en dépassant les bloqueuses de l’équipe adverse, autant de fois que possible. Chaque bloqueuse dépassée permet de gagner un point.
Sans surprise, les bloqueuses ont pour rôle d’empêcher la jammeuse de l’équipe adverse de passer. Néanmoins, tous les coups ne sont pas permis ! Les blocages doivent se faire en toute sécurité. À titre d’exemple, il est interdit d’utiliser ses coudes et ses mains. Si une joueuse saigne, elle doit sortir du track. De même, il est absolument interdit de manquer de respect aux autres joueuses ou aux arbitres sous peine d’expulsion. Dans le roller derby, le respect et la sécurité sont les conditions sinéquanones du dépassement sportif.
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Le roller derby, sport féministe et inclusif
« Un sport par et pour les joueuses »
C’est en suivant ce motto que le roller derby moderne a été créé. À l’instar de la culture drag, le roller derby est un moyen d’expression pour les minorités sexuelles et de genre, ainsi que pour les femmes cisgenres.
En France, plus de 70 % des pratiquants sont des femmes ou des minorités de genre. Le roller derby, depuis 2014 affilié à la Fédération française de roller et skateboard (FFRS), est la seule pratique sportive à ouvrir ses portes aux joueurs et joueuses trans ou non binaires. Les personnes pratiquant le roller derby sont libres de s’inscrire dans une équipe féminine ou masculine selon leur identité ressentie et non en fonction de leur état civil.
Nées de la mouvance DIY, les ligues de roller derby permettent aux femmes et aux minorités de genres de se créer des environnements sûrs et inclusifs dont elles ont la charge. De la gestion des entraînements, à l’organisation des compétitions jusqu’à la recherche de sponsors, tout est géré en interne par les joueuses.
La nature même de cette pratique sportive permet à chacune d’exprimer sa personnalité.
D’abord, de par le choix de son derby name et de son numéro. Il est d’usage de prendre un derby name et un numéro unique, par respect pour les autres joueuses. Des listes sont régulièrement mises à jour par des bénévoles des ligues et elles sont facilement accessibles sur internet. Pour ma part, lors de ma pratique au sein du Lyon United Roller Derby, j’avais choisi le derby name « Red is Dead » et le numéro 665.
Le maquillage lors des matchs a lui aussi son importance. À l’image des peintures de guerres, nos amazones se préparent à livrer une bataille, parfois, sanglante. Paillettes et couleurs criardes sont d’usage, que ce soit dans le maquillage ou dans les costumes.
Le roller derby, c’est l’expression de la force toute puissante des minorités. Ce sport est représentatif d’une émancipation physique et sociale.
Enfin, le roller derby va bien au-delà des simples matchs. Dans l’esprit roller derby, l’after est sacré. Les équipes se retrouvent après la rencontre pour ensemble, refaire le monde et boire un verre. Lors des compétitions, il est même traditionnel de se voir offrir le gîte et le couvert par l’équipe qui accueille. Chacune repart riche de souvenirs et d’expériences. Les joueuses attaquent inévitablement sa semaine avec un énorme « derby blues » (la déprime d’après match).
Initialement exclusivement féminin, le roller derby gagne désormais en popularité auprès d’un plus large public. Ce sport physiquement exigeant pousse au dépassement de soi et se dresse en rempart contre les discriminations envers les minorités sexuelles et de genre. Au-delà de l’aspect simplement associatif, de nombreux événements sportifs sont aujourd’hui proposés. Depuis 2011, 3 coupes du monde féminines ainsi que 3 coupes du monde masculines se sont tenues. De plus, il existe désormais un championnat junior.
Enfin, derrière une façade de paillettes et de bienveillance, les problèmes de violences dans le sport sont aussi présents. En revanche, à l’image d’un blocage réussi, le milieu roller derby réagit aussitôt et sait prendre les décisions qui s’imposent.
Cet article t’a intéressé et tu souhaites en apprendre plus concernant les enjeux féministes et sociétaux ?
Elsa Turquet pour Celles qui Osent
Sources :
Fédération Française de Roller et Skateboard
Smithsonian : Bad Girl Good Woman Production roller derby program
France info : violences sexuelles dans le sport
Folklife : history and culture of roller derby
Conseil sport : roller derby, l’inclusion par le sport
New York Times : the long and surprising story of roller derby
En attendant notre prochain article, n'oubliez pas de suivre notre podcast sur ces Femmes qui Osent
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