Avez-vous déjà entendu parler de Salem ? Cette ville, située dans le Massachusetts, aux États-Unis, est tristement célèbre pour avoir été le théâtre de la chasse aux sorcières la plus importante de l’Amérique du Nord. Entre février 1692 et mai 1693, quatorze femmes et six hommes ont été exécutés, dans un contexte d’hystérie collective. Des siècles après les faits, il existe plusieurs thèses qui tentent d’expliquer ce macabre procès des sorcières de Salem. Certains historiens énoncent même de potentielles hallucinations dues à l’ergot du seigle lors de la fabrique du pain (l’ergot étant un produit similaire au LSD). Encore aujourd’hui, le procès des sorcières de Salem fascine et a fait l’objet de nombreuses adaptations artistiques et cinématographiques.
Des convulsions inexpliquées : le point de départ des dénonciations
Le contexte historique du procès des sorcières de Salem est celui de rivalités politiques et territoriales. À la fin du 17e siècle, Salem est à la fois un village agricole et un bourg économiquement prospère. Peu à peu, le village agricole cherche à se séparer du bourg, pour gagner son indépendance économique. En 1689, les villageois se dotent de leur propre église ; Samuel Parris, un ancien commerçant devenu pasteur, en prend la tête. Il est connu pour son austérité et son intransigeance. En 1692, sa fille Betty, âgée de 9 ans, est prise de crises et de convulsions, sans explication. Les villageois y voient un signe indéniable de possession par le Diable. Aux crises de Betty se succèdent celles d’Abigaïl, sa cousine.
Tituba, l’esclave de la famille Parris, est alors accusée d’être un avatar de Satan, et d’avoir envouté les deux filles. Sarah Good, une mendiante, et Sarah Osborne, une vieille femme sénile, sont également mises en cause. Entre temps, plusieurs jeunes filles de Salem se mettent également à faire des crises similaires. Les trois femmes sont alors jetées en prison, mais les accusations continuent et d’autres femmes sont arrêtées. La fièvre des dénonciations commence alors.
Les procès des sorcières de Salem, une hystérie collective
Les villageois sont rapidement confrontés à un problème : aucune instance judiciaire n’a été prévue pour juger les accusés. Or les prisons de Salem sont remplies. William Phips, gouverneur du Massachusetts, est alors chargé d’ouvrir un tribunal dédié aux procès des femmes et des hommes emprisonnés. Les procès ont lieu à fréquence régulière. À terme, ce sont 141 suspects qui sont reconnus coupables de faits de sorcellerie. Seule une femme est innocentée, après que les jeunes filles possédées se soient rétractées. 19 personnes sont condamnées à la pendaison, et parmi elles, cinq sont des hommes. Un autre accusé, un fermier du nom de Giles Corey, refuse de se défendre et de paraître en justice, et meurt en prison, sous la torture.
Devant les proportions que prennent les procès et les mises à mort, le clergé de Boston demande à William Phips de mettre fin à ce marasme judiciaire, et lui écrit : « il est préférable que dix sorcières suspectées puissent s’échapper, plutôt qu’une personne innocente soit condamnée ». Les preuves spectrales sont alors bannies du système judiciaire, car les rêves, les visions, et les superstitions étaient admis en tant que preuves recevables lors des procès pour sorcellerie. Quelques années après les derniers procès, beaucoup remirent en cause le tribunal de Salem et ses pratiques. En 1700, des dédommagements ont d’ailleurs été accordés aux descendants des personnes condamnées à mort, et les gouverneurs de l’époque ont fait leurs excuses publiques quant à la gestion de l’affaire.
Les chasses aux sorcières : des faits révélateurs d’une société misogyne
Comme l’expliquait Mona Chollet dans une interview accordée à Libération datant de 2018 : « Il est difficile de ne pas voir les chasses aux sorcières comme un phénomène de haine misogyne intense ». Selon l’autrice, voilà ce qui était reproché aux femmes que l’on accusait de sorcellerie :
« Des femmes fortes, insolentes, indépendantes. Les veuves ou sans époux, échappant à toute autorité masculine, sont surreprésentées parmi les victimes… Certaines fois, un simple comportement «déviant» suffisait à se faire accuser. Mal répondre à son mari, mal parler à son voisin, le spectre des comportements qui pouvaient attirer une accusation était très vaste. Sans oublier évidemment toutes les manipulations, comme par exemple des hommes qui accusaient des femmes de sorcellerie pour ne pas être eux-mêmes accusés de viol. »
Dans la société puritaine de la Nouvelle-Angleterre des années 1690, le diable est partout, et il peut, selon l’Église, attirer particulièrement les femmes, jugées plus faibles et perverses que les hommes. Le corps même de la femme, constamment associé à la sexualité et la séduction, est considéré comme étant dangereux. La figure de la vieille femme est particulièrement détestée. Selon l’historien Robert Muchembled, la femme n’a plus le droit au sexe, puisqu’à la ménopause, elle se livre à Satan.
Selon les statistiques, 80% des personnes accusées de sorcellerie étaient des femmes, souvent âgées, et issues d’un milieu paysan. Les travaux historiques de ces dernières années révèlent désormais l’impact du sexisme de la société dans les phénomènes de chasse aux sorcières.
L’image de la sorcière a profondément évolué. Désormais, la sorcière incarne, pour les femmes d’aujourd’hui, une figure puissante, affranchie de toutes les dominations.
Encore aujourd’hui, le procès des sorcières de Salem, devenu une sorte de « mythe », fascine. En 1957 sort le film Les Sorcières de Salem, de Raymond Rouleau, avec Yves Montand, Simone Signoret et Mylène Demongeot. Ce film raconte l’histoire d’une servante, Abigaïl Williams, qui se livre à la sorcellerie pour se venger de sa maîtresse, Élisabeth Proctor. En effet, celle-ci l’a renvoyée à cause de la relation adultérine qu’elle avait avec son époux. Arrêtée, elle prétend être une victime et la cour de justice formée à cette occasion va alors envoyer à la potence toutes les personnes dénoncées comme sorcières par les jeunes filles qu’Abigaïl a eu le temps de mettre en son pouvoir…
Plus récemment, la série télévisée américaine Salem (36 épisodes) créée par Adam Simon et Brannon Braga et librement inspirée des procès des sorcières de Salem est disponible (depuis 2016) sur Netflix.
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
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