Militante des droits des femmes, Taslima Nasrin, femme de lettres et autrice bangladaise, s’est fait connaître pour ses prises de position féministes et « anti-religieuses ». Elle a été contrainte de quitter son pays dans les années 1990, après avoir publié des romans et des essais controversés, dans lesquels elle dénonce l’oppression des femmes et critique ouvertement les religions, qu’elle juge « misogynes ». Certains de ses livres sont d’ailleurs bannis au Bangladesh, ainsi que dans la région indienne du Bengal. D’autres grandes figures littéraires sont connues pour leurs ouvrages controversés comme le célèbre Salman Rushdie, auteur du roman Les Versets sataniques, interdit en Iran depuis 1988. Taslima Nasrin est moins médiatisée, mais son courage mérite d’être également salué.
Un parcours marqué par la lutte pour les droits des femmes
Taslima Nasrin naît dans une famille aisée de Dakha, la capitale du Bangladesh, où son père enseigne la médecine à l’université. Elle suit les pas de son père et s’inscrit à la fac de médecine à la fin du lycée. Elle obtient sa licence de médecine, et écrit pour son plaisir en parallèle de ses études. Ses premières publications, alors qu’elle est encore étudiante, sont des poèmes. Une fois son diplôme en poche, elle travaille dans un planning familial de Dakha, puis dans un hôpital en tant que gynécologue. Cette période a été fondatrice pour Taslima Nasrin. Dans des interviews, des essais et des tribunes, elle évoque les femmes violées qu’elle a soignées, et se rappelle avoir vu des femmes en salle de naissance, pleurant de désespoir quand leur nouveau-née était une fille. C’est à ce moment-là qu’elle devient athée, bien qu’issue d’une famille musulmane.
Elle continue de publier de la poésie dans les années 1980, mais passe à la prose la veille des années 1990. En 1993, elle publie Lajja, un roman qu’elle dédie à « toutes les personnes du sous-continent », écrit en bengali, et commençant par les mots suivants : « Qu’un autre nom pour la religion soit l’humanisme ». Écrit en réponse aux manifestations anti-hindoues s’étant déclenchées au Bangladesh, le roman dénonce l’oppression subie par la communauté hindoue au Bangladesh et Taslima Nasrin est victime de menaces de mort dès sa publication. En 1993-1994, les manifestations réclamant sa pendaison par le pouvoir se succèdent. En 1994, elle affirme, dans une interview, vouloir l’abolition de la Sharia, la loi islamique. Pourchassée par les fondamentalistes islamistes, elle quitte le Bangladesh pour la Suède, et est contrainte d’arrêter son activité de médecin.
Le début de l’exil
Son exil commence en 1994, et elle quitte le Bangladesh pour l’Europe, où elle réside entre la Suède, l’Allemagne et la France, pays depuis lesquels elle continue d’écrire. Son pays d’origine lui retire son passeport, et le gouvernement suédois lui accorde la nationalité. Elle n’a jamais pu retourner au Bangladesh, et écrit pendant cette période sa biographie, portant sur sa jeunesse et son adolescence : A Bengali Girlhood (jeunesse d’une fille bengalie). Après dix ans en Occident, elle veut revenir sur le sous-continent et se rend à Calcutta, en Inde, où elle vivra pendant 3 ans. Calcutta, capitale de l’État du West Bengal, est située non loin de la frontière bangladaise, et les deux pays partagent une langue commune, le bengali. Durant son séjour, elle contribue à écrire pour nombreux journaux locaux.
Pourtant, les menaces et attaques continuent de s’abattre sur Taslima Nasrin. Ses livres continuent d’être traduits dans les langues du monde entier, ainsi que dans les différents dialectes indiens. En 2007, un groupe islamiste indien promet 500 000 rupees à celui qui décapitera Taslima Nasrin. La même année, alors qu’elle présente son nouveau livre à Hyderabad, une ville du sud de l’Inde, elle est physiquement agressée par des islamistes. À son retour à Calcutta, les fondamentalistes de la ville lancent une fatwa contre elle, de nouvelles manifestations explosent et l’armée est contrainte d’intervenir. Elle s’enfuit alors pour New Delhi, la capitale indienne, où elle réside encore aujourd’hui. Un an plus tard, en 2008, elle reçoit le prix Simone de Beauvoir, pour ses écrits sur les droits des femmes.
Une littérature féministe
Taslima Nasrin est une autrice prolixe, ayant écrit une trentaine d’ouvrages, tous genres confondus (poésie, essais, romans, tribunes, autobiographies…) et traduits dans plus de 20 langues. Son écriture se définit par deux caractéristiques majeures : son sentiment antireligieux, et son engagement féministe, dont elle dit qu’il est inspiré par des philosophes commeSimone de Beauvoir, Virginia Woolf, ou Begum Rokeya, penseuse bengalie et féministe, dont les mémoires furent interdites au Bangladesh, et dans le Bengal indien.
Récemment menacée de mort, Taslima Nasrin continue de vivre en Inde, malgré ses échecs à obtenir la nationalité indienne. Son œuvre est profondément liée à l’histoire et l’actualité du sous-continent indien. Dans ses livres, l’autrice dénonce les institutions patriarcales, à l’origine de l’oppression des femmes comme la famille, la société, l’État, la religion. Les violences de genre, auxquelles elle a été confrontée en tant que médecin, et dont elle a été elle-même victime lors de son adolescence sont également des thèmes récurrents dans son œuvre.
Taslima Nasrin ne suscite pas de la haine uniquement pour ses écrits engagés, mais aussi en raison de son sexe : une femme éduquée, rompant le lien avec les traditions religieuses dans sa famille, activiste et écrivain, représente, pour les autorités religieuses, un ennemi à abattre.
Récemment, la femme de lettres a apporté son soutien aux femmes iraniennes.
Les menaces de mort n’arrêtent pas Taslima Nasrin. Malgré tout, elle a le courage et l’audace de continuer à écrire, depuis Delhi.
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Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
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