Le mot de Tawaif ne vous dit sans doute rien. Il désigne des femmes poétesses, danseuses et musiciennes, qui venaient divertir les cours de l’Empire Mohgol, né au XVIe siècle, et disparu au XIXe, avec la colonisation britannique. Celles-ci sont largement représentées dans les arts picturaux indiens, et apparaissent souvent comme de très belles femmes, richement vêtues, accompagnées d’un instrument de musique. Les Mohgols ont par ailleurs introduit une culture persane en Inde, que les Tawaifs se sont appropriées et ont diffusé au sein de l’aristocratie indienne, trois siècles durant. Celles qui Osent revient sur l’histoire des Tawaifs, trop souvent considérées comme de simples prostituées.
D’où viennent les Tawaifs ?
Les Tawaifs se sont développées avec la culture et les arts Mohgols en Inde du Nord, dans des villes comme Lucknow, la capitale de l’Uttar Pradesh, ou Agra, ville de l’emblématique Taj Mahal. Les Tawaifs sont indissociables d’un contexte artistique précis, d’ailleurs, le mot est originaire du terme « tauf », signifiant « faire des ronds », en référence aux pas de danse opérés par les Tawaifs. Ces dernières étaient formées dès le plus jeune âge, aux alentours de 5-7 ans. Dès l’âge de 10 ans, les jeunes Tawaifs accompagnaient leurs aînées lors de petits rassemblements, pour performer des danses et des chants. Leur éducation était également littéraire, et elles apprenaient la poésie urdu et perse, l’urdu étant une langue parlée en Inde du Nord, et au Pakistan.
Les Tawaifs étaient respectées dans la société Mohgol, et considérées comme de véritables artistes. Elles étaient organisées selon une hiérarchie bien précise, qui dépendait de leurs talents et de leur formation. Certaines villes de l’Empire Mohgol étaient cependant plus propices au développement et au rayonnement de l’art des Tawaifs. C’est par exemple le cas de Lucknow, capitale de l’Uttar Pradesh, où se trouvaient les Tawaifs les plus douées, particulièrement aux XVIIIe et XIXe siècles. Elles étaient également un moyen, pour les souverains Mohgols, de transmettre la culture musulmane, et de faire rayonner leur cour.
Les Tawaifs, des courtisanes comme les autres ?
Les Tawaifs, dans l’Inde des XVIe-XIXe siècles, étaient des femmes émancipées. D’abord, elles avaient le droit à une éducation, chose dont les femmes étaient habituellement exclues. C’était de vraies femmes de lettres, qui connaissaient le perse et l’urdu, la poésie, la danse et la musique. Ces dernières vivaient entre elles, dans de grandes maisons où les aînées leur transmettaient leurs savoirs, et qui ont, longtemps et à tort, été qualifiées de maisons closes. Quant aux rapports sexuels, ceux-ci n’étaient en rien obligatoires. Les Tawaifs devaient d’abord séduire les esprits des seigneurs qu’elles divertissaient, et pouvaient choisir les hommes avec qui elles entretenaient des relations intimes.
Avec l’arrivée des Britanniques en Inde, les prostituées ont été assimilées aux Tawaifs, le tout formant un groupe de « nautch girls », qualifiant une forme de danse populaire. Les colons ne faisaient donc pas la différence entre les Tawaifs, ayant reçu une éducation d’excellence, et les prostituées qui pouvaient danser occasionnellement dans des lieux publics. C’est ainsi que leur déclin commença, en même temps que celui de l’Empire Mohgol, qui s’éteignit en 1858, après l’exil du dernier empereur.
Les Tawaifs, des femmes de pouvoir
Begum Samru est née dans l’Uttar Pradesh en 1753. Elle rejoint les Tawaifs très jeune, mais cesse de performer à l’âge de 14 ans, suite à son mariage avec un mercenaire européen, âgé de 30 ans de plus qu’elle. Elle suivit son mari dans toutes ses missions, de Lucknow à Agra. À sa mort, elle hérite de sa considérable fortune et de tous ses biens. Elle s’installe définitivement en Uttar Pradesh, et se fait courtiser par les mercenaires européens, impressionnés par sa beauté, sa culture, et son indépendance, et devient l’amante d’un soldat français. Elle se convertit d’ailleurs au catholicisme, et devient Joanna Nobilis Sombre, Begum étaitn un titre aristocrate courant dans l’Empire Mohgol. Begum Samru prend la tête de la ville de Sardhana, non loin du lieu de sa naissance, et devient cheffe d’une armée de mercenaires indiens et européens.
Begum Hazrat Mahal est un autre exemple de Tawaif au destin extraordinaire. Elle devient l’une des courtisanes attitrées du roi de la région d’Awadh, et sera l’une de ses épouses, après être tombée enceinte de lui. En 1856, les Britanniques annexent l’Awadh, et son mari fut contraint de s’exiler à Calcutta. Begum Hazrat Mahal décida de rester dans sa région d’origine, dont elle devient la souveraine, pour organiser une rébellion contre les Britanniques. Elle fut contrainte de s’exiler au Népal, où elle mourut en 1879.
La société indienne vous intéresse ? Vous pouvez retrouver notre article sur les Hijras, la communauté transgenre en Inde sur notre site.
Victoria Lavelle pour Celles qui Osent
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