Dans son roman « La petite communiste qui ne souriait jamais« , Lola Lafon raconte l’histoire de Nadia Comaneci, une athlète roumaine de 14 ans devenue icône planétaire après sa prestation aux Jeux olympiques de Montréal an 1976. La gymnaste a su, le temps de sa performance, mettre à mal les crispations géopolitiques liées à la Guerre froide et a fasciné l’Occident. A la fin des années 1980, elle parviendra à fuir la Roumanie, toujours sous joug soviétique, pour les Etats-Unis. Son histoire est devenue représentative du vécu des gymnastes de l’Union Soviétique en pleine Guerre froide, sur lequel Celles qui Osent revient aujourd’hui.
Les gymnastes de l’Union Soviétique : des « poupées russes »
C’est en 1952 que l’URSS participe pour la première fois aux Jeux olympiques. Et c’est en 1952 qu’est introduite la gymnastique artistique féminine et individuelle au sein du panels des épreuves. D’ailleurs, de 1952 à 1992, les Soviétiques ont dominé dans cette discipline et ont remporté des titres olympiques chaque année. Cette réussite a été utilisée comme vitrine par le régime, ayant contribué à humaniser l’URSS à travers ses athlètes, souvent de très jeunes filles, extrêmement talentueuses.
Dans son livre La fabrique de l’homme nouveau après Staline, Lucie Kempf revient sur cette « fabrique des poupées russes », comme elle l’appelle. « Tout comme la poupée américaine, les championnes de gymnastique soviétiques ont été produites en série, en fonction de critères préétablis ; leurs corps étaient tout aussi improbables, dans leurs proportions comme dans leurs performances ; enfin, comme les Barbies, elles étaient prévues pour un usage à court terme et remplaçables à volonté », écrit-elle dans son livre.
L’une des premières « poupées russes », c’est Larissa Latynina, une athlète ukrainienne née en 1934. Pendant une cinquantaine d’années, elle est restée l’athlète la plus médaillée de l’histoire des Jeux, ayant remporté 18 médailles. Elle fut l’entraineuse de l’équipe soviétique de gymnastique de 1966, date à laquelle elle a pris sa retraite, à 1977.
Avant Nadia Comaneci, une autre athlète soviétique a su conquérir le monde entier, et est connue pour avoir « ouvert la voie » à ses successeures : Olga Korbut, née en Biélorussie, en 1955. Elle participe à ses premiers Jeux olympiques en 1972, soit cinq ans avant Nadia Comaneci, et devient « the darling of Munich », lieu de déroulement des Jeux cette année là.
Le corps façonné des athlètes russes
A l’image de l’homme nouveau que l’on retrouve dans les régimes fascistes, l’URSS a façonné ses athlètes afin d’en faire des « femmes nouvelles », au détriment de la santé de ces dernières. Jusque dans les années 1970, l’Union soviétique, et plus particulièrement l’Allemagne de l’Est, dope ses athlètes, et ce dès leur plus jeune âge. Les jeunes filles se voient administrer des hormones masculines, ce qui altère de manière irréversible les organes sexuels et reproductifs et peut mener à de sérieux troubles cardiaques. Le cas le plus tristement célèbre est celui d’Andreas Krieger, né Heidi Krieger, ancienne championne d’Europe du lancé de poids, ayant dû transitionner malgré lui en raison des importantes doses d’hormones masculines ingurgitées contre sa volonté. Andreas Krieger a d’ailleurs rendu ses médailles et demandé à ce que son record personnel soit effacé.
Le documentaire de Sarah Eichhoff réalisé en 2004, Plan d’Etat 14-25, revient sur ce programme de dopage institutionnalisé en RDA et montre le financement de ce dernier par le Ministère des sports ainsi que les répercussions de la prise d’hormones sur la santé mentale et physique des athlètes femmes.
Pour contrer ce recours massif au dopage, l’Occident a mis en place un « test de féminité » auquel sont soumises les athlètes femmes à la fin des années 1960. Le test consiste à prouver sa féminité d’abord via un examen gynécologique, puis par la détection des chromosomes XX. La démarche est extrêmement mal vécue par les sportives : violences gynécologiques, humiliations, tests faussés…
Les gymnastes, vitrines du bloc soviétique
Les scores presque parfaits d’Olga Korbut ou Nina Comaneci contribuent à humaniser l’image de l’URSS et à dépasser les désaccords idéologiques dus à la Guerre froide. En réalité, les athlètes étaient étroitement surveillés pour éviter qu’ils ne fuient durant les épreuves à l’international, ce qui aurait renvoyé une image désastreuse pour le bloc de l’Est. Le KGB est ainsi déployé à chaque compétition internationale. Olga Korbut, notamment, était très surveillée du fait de sa popularité à l’Ouest.
En pleine Guerre froide, le sport est un important softpower, et un enjeu de taille pour les Soviétiques, dont le but est de montrer la supériorité du régime via ses athlètes. Pour cela, les cours de sport à l’école sont intensifs et obligatoires. La gymnastique était pratiquée dès la maternelle dans le but de détecter les jeunes talents le plus tôt possible. Les petits gabarits étaient sélectionnés, et les données génétiques récupérées afin d’éviter les erreurs de casting. Après leur retraite sportive, l’Etat soviétique assurait à ses athlètes une reconversion dans leur domaine.
Cet article vous a plu ? Vous pouvez retrouver sur notre site l’histoire de Nadia Nadim, réfugiée afghane et joueuse de football, ou bien celle de Sarah Abitbol, qui a osé dénoncer les violences sexuelles dans le sport.
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