Un archipel du Pacifique Sud, territoire français d’outre-mer, cela fait rêver. En ces temps troubles où les déplacements sont limités, Celles qui Osent s’évade « virtuellement » à la rencontre de Marion Dionnet, une dessinatrice de talent, passionnée de voyages, d’art et d’illustrations. Après avoir publié plusieurs livres pour enfants et travaillé pour Amnesty International, Marion a décidé de poser ses valises en Nouvelle-Calédonie. Son travail graphique évoque les arts océaniens qu’elle admire beaucoup. Elle ose aujourd’hui revenir sur ses choix et sa vie insulaire. Décollage virtuel vers un paradis insulaire dans le Pacifique…
Dessiner le voyage
Pousser dans une ferme familiale bio
Marion Dionnet naît dans la campagne angevine. Elle grandit au sein d’une ferme avec des parents précurseurs de l’agriculture biologique. « Il y avait des moutons, beaucoup de fleurs et d’arbres. Depuis peu, mes parents élèvent des alpagas et tissent la laine pour la vendre. Ils commercialisent aussi des noix, des fruits… »
Aînée d’une famille nombreuse, elle vit une enfance plutôt isolée, sans télévision. Elle est sensibilisée très tôt à l’art par sa mère. En effet, celle-ci initie ses enfants aux différents loisirs créatifs les jours de pluie. « L’art était un moyen de m’évader, de sortir de ma campagne. De toute façon, ma mère m’a toujours dit que je serais une artiste. »
Apprendre à dessiner à Liège
À l’âge de 14 ans seulement, elle rentre dans un internat pour étudier les arts plastiques et le théâtre à Angers. « Au lycée, on abordait surtout l’aspect conceptuel de l’art, pas sa pratique. La théorie, c’est bien, mais je voulais aussi apprendre à dessiner. » Après son baccalauréat, elle part vivre en Belgique, à Saint-Luc pour une licence en illustration. « Les études sont riches. J’y découvre la gravure, la gouache, la linogravure, l’aquarelle, etc. Il y avait des cours d’histoire de l’art au programme aussi. » Durant son cursus universitaire, elle s’évade six mois en Sicile, au soleil. Passionnée de photographie, elle vend ses clichés dans la rue et remplit des carnets de voyage de ses découvertes. « C’est terminé la photo pour moi maintenant. À la douane en arrivant à Nouméa, ils m’ont pris ma batterie de toute façon ! »
Elle poursuit ensuite ses études à l’Académie des Beaux-Arts de Liège, en master d’illustration.
Militer en dessin pour les migrants
C’est à cette période qu’elle publie son premier album jeunesse « Mon ami Paco », écrit par Luc Baba en 2011. Le livre aborde, du point de vue des enfants, les questions de l’immigration et de l’enfermement arbitraire des personnes en séjour illégal en France et en Belgique. Marion produit 26 illustrations de linogravures (technique de gravure sur du linoléum).
Grâce à ce projet, elle donne des ateliers de dessin dans des centres de rétention de migrants, puis présente son ouvrage dans diverses écoles.
Militante et engagée, elle travaille également plusieurs années pour Amnesty International en tant qu’illustratrice.
Marion a une appétence très forte pour le voyage. “Je ne suis jamais rassasiée de découvertes !” Elle parcourt le monde (Philippines, Chine, Dominique, Brésil, Portugal, Inde, Zanzibar…) avec ses carnets et ses crayons, tout en répondant à des commandes de livres pour enfants. « J’ai publié “bonne fête, mouton”, sur le thème de la fête de l’Aïd et la tolérance ainsi qu’un livre-CD intitulé “Jazz for kids” ».
Vivre sur une île en Nouvelle-Calédonie
Immersion en terre kanak
Ces projets lui payent son billet pour la Nouvelle-Calédonie. Marion rêve d’habiter sur une île du Pacifique. « J’étais fascinée par l’aspect insulaire, vivre à côté d’une mer turquoise, sous des cocotiers ».
Passionnée des arts océaniens (arts papou, aborigène, mélanésien), en 2017, elle quitte tout, avec un sac à dos et un aller simple pour Nouméa.
Elle arrive seule dans une auberge de jeunesse, pour ouvrir un nouveau chapitre de sa vie. “Je n’avais pas de plan, je savais juste que je voulais apprendre à faire du bateau et découvrir les arts.” Ses 5 000 euros d’économie ne suffiront pas. Elle se rend compte que « la vie quotidienne est très chère là-bas ». Autre déception : il y a beaucoup de Français expatriés à Nouméa. « Ce n’est pas vraiment ce que j’étais venu chercher ! ».
Elle postule alors à une offre d’emploi afin de devenir professeur d’arts plastiques à Maré, des îles Loyauté.
Cette terre appartient aux Kanaks. Marion Dionnet y découvre un autre mode de vie, celui d’une existence en tribu. « C’est le dépaysement total. Le cadre est somptueux. J’ai ma maison en bois, à côté d’une plage bordant une jolie mer bleu turquoise. Je vois des baleines de ma fenêtre ; je vis mon rêve éveillé. Sauf que je suis également coupée du monde : il n’y a pas de magasins, ni de bars, ni de restaurants. Le temps s’est comme arrêté : je me sens très isolée.”
Elle arrête les carnets de voyage et se met alors à peindre, sans réfléchir. « À Maré, j’ouvre une fontaine intarissable de graphisme intuitif, de peintures primitives. »
Un dessin artisanal valorisant les arts océaniens
Marion possède une approche plutôt artisanale de sa pratique. Elle ne travaille pas avec l’outil informatique. Elle peint ou dessine sur des coquillages, des sortes d’amulettes, des bijoux ou des toiles. Chaque objet est unique, fait à la main. Ces créations sont réalisés soit en noir et blanc avec de l’encre de Chine, soit avec des marqueurs très colorés. Les visages ou les motifs s’imbriquent les uns dans les autres, sans forcément laisser de vide, de « respirations visuelles ». Ses personnages semblent naïfs, leurs expressions visibles à travers des sortes de masques faisant écho aux arts premiers. « Les masques existent depuis très longtemps dans mes graphismes. Quand j’étais adolescente, ils hurlaient à la mort. Maintenant, ils sont plus tranquilles. » À 32 ans, la dessinatrice est apaisée. « Le dessin, c’est un cheminement. J’ai conscience d’avoir encore une grande marge de progression, si bien que cela m’enlève beaucoup de pression. »
Marion Dionnet vit de sa créativité. Avec des amis, l’artiste a ouvert une boutique d’art et d’artisanat intitulée Coccoloba sur une des baies de Nouméa. Elle exposera bientôt à la galerie Lec Lec Tic à Nouméa. Marion Dionnet vient d’obtenir une bourse pour une résidence en juillet afin d’intervenir de manière in situ dans un skate parc. À chaque période de vacances scolaires, elle propose des stages à destination du jeune public afin de transmettre et partager sa passion ! Dernièrement, elle a dessiné l’affiche du documentaire L’autre femme (Canal+) réalisé par le photographe calédonien Stéphane Ducandas, traitant d’un sujet controversé : la transidentité et le quotidien d’une relation mère-fils d’un genre différent.
Le conseil de Marion pour trouver l’inspiration : « il faut éteindre le mental et laisser les choses venir ». Joliment dit. On essaye, Celles Qui Osent ?
Violaine B. — Celles qui Osent